Journal n°142

Quand le monde académique s’exerce au «fundraising»

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Le partenariat public-privé est dans l’air du temps, y compris dans le secteur académique. Dans un contexte de restrictions budgétaires de la part des États, l’apport financier du privé, surtout dans les domaines coûteux en infrastructures comme les sciences naturelles ou la médecine, représente une aubaine pour les universitaires, tout en suscitant des appréhensions.
Les chercheurs doivent se familiariser avec une pratique à laquelle leur culture académique les a jusqu’ici assez peu préparés. Monnaie courante dans les pays anglo-saxons, le fundraising ou levée de fonds implique en effet des contraintes et des usages spécifiques qui, sur le continent européen, demandent à être mieux connus.

Comment identifier de potentiels donateurs et gérer les relations avec ceux-ci? La Faculté de médecine, où la pratique tend le plus à se développer, a organisé, le 30 janvier dernier, son premier atelier de recherche de fonds à l’adresse des doctorants, post-docs et professeurs assistants ou boursier, afin d’apporter des réponses à ces questions.

Principes de bonne pratique
Depuis 2015, le Rectorat s’est, pour sa part, engagé à favoriser une politique de recherche de fonds privés institutionnelle, organisée et active. Il s’agit en d’autres termes de fournir des outils de traçage et de fléchage pour la levée de fonds. Les chercheurs doivent en effet être suffisamment attentifs à certains aspects dans leurs démarches avec des bailleurs de fonds, faute de quoi les dérapages sont vite arrivés, avec des conséquences potentiellement calamiteuses pour eux-mêmes et pour l’institution. Le Rectorat a donc créé en 2016 une Cellule de développement dirigée par Christiane Fux, chargée de coordonner la politique en la matière et d’élaborer des principes de bonnes pratiques qui ont notamment débouché sur la rédaction d’une charte (lire ci-dessous). Il a lancé parallèlement un centre en philanthropie, afin d’apporter sur le domaine un regard scientifique.

Nous devons nous assurer de l’identité du donateur, obtenir des garanties sur la provenance des fonds, tout en veillant à ce que le don ne soit pas assorti de contreparties

Pour les universités, le souci prépondérant est de s’assurer que l’apport de fonds privés ne porte en aucune façon atteinte à la liberté académique des chercheurs. Pour éviter ce biais, une logique de totale transparence doit prévaloir, souligne Christiane Fux: «Il n’y a rien de plus désastreux que de donner l’impression de cacher des éléments d’une convention avec un donateur.» L’Université joue à cet égard son rôle de garante de la qualité, aussi bien à l’intention des chercheurs que des bailleurs de fonds. «Nous devons en premier lieu nous assurer de l’identité du donateur, obtenir des garanties sur la provenance des fonds, tout en veillant à ce que le don ne soit pas assorti de contreparties, explique Christiane Fux. En sens inverse, la signature du Rectorat sur un projet de financement privé offre une garantie au donateur, soucieux de soutenir des projets de qualité dans des domaines prioritaires sur le plan scientifique.»

Risque de dispersion
L’institution doit également s’assurer que le financement privé n’apporte pas de déséquilibres entre ses différents axes de recherche, en injectant des moyens disproportionnés dans certains secteurs, ce qui pourrait être perçu comme une manière d’orienter le travail scientifique. Cela étant, le financement public oriente aussi à sa manière le développement de la science. Les pôles de recherche lancés par le Fonds national de la recherche scientifique jouent ce rôle en Suisse depuis le début des années 2000.
Si l’apport du privé peut s’avérer substantiel, il n’offre en revanche pas les mêmes garanties de pérennité que celui de l’État. «La démultiplication des sources d’approvisionnement peut faire courir au secteur scientifique un vrai risque, avec des financements à court terme sur des projets insuffisamment évalués, des conditions de travail précarisées et, au final, une baisse de la qualité des recherches», met en garde Christiane Fux. D’où l’importance d’une politique institutionnelle forte, à même de drainer les flux de donations vers les besoins les plus pertinents. Hormis dans les cas de financement exceptionnels de chaires qui assurent une garantie de financement sur la durée, les salaires des chercheurs devraient ainsi continuer à être assurés par les fonds publics et les plus petites donations viser prioritairement des équipements.

Un rôle d’accélérateur
L’Université est encore loin d’être inondée par un flot d’argent privé. La part de levée de fonds ne représente que 4 à 5% du budget total de l’Université de Genève. «On pourrait faire mieux, mais cela demande beaucoup de réflexion et d’investissement», estime Christiane Fux. L’Université pourrait, par exemple, créer sa propre fondation, à l’instar de l’École polytechnique fédérale de Zurich, et élargir la contribution de ses Alumni. Mais dans tous les cas, le financement privé n’a pas vocation à se substituer aux fonds publics. Il apporte plutôt un complément de plus en plus nécessaire au développement de l’Université, en jouant le rôle d’accélérateur. À titre d’exemple: l’apport d’une fondation privée genevoise qui a été décisif, en 2016, pour lancer le partenariat de l’UNIGE avec l’Université chinoise de Tsinghua assorti d’un programme de Master commun aux étudiants des deux institutions. —