Journal n°149

La ville veut des arbres mais la place fait défaut

L’arbre n’a pas de cerveau ni de bouche mais il n’en est pas moins un être «social». Il préfère pousser en bosquet, entouré de ses semblables, ne serait-ce que pour se protéger des intempéries. Dès que possible, il fait communiquer ses racines avec celles de ses voisins pour quelque conversation végétale. Toujours sous la surface, il optimise sa prise de nutriments grâce à certaines espèces de champignons, les mycorhizes, avec lesquelles il établit un échange de bons procédés. Certains résultats scientifiques suggèrent même l’existence d’une communication chimique entre individus notamment en cas de danger. Mais ce dont un arbre a besoin avant tout pour s’épanouir au maximum de ses capacités, c’est un grand volume de terre fertile. Cent mètres cubes c’est un espace confortable pour un grand spécimen.

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Autant dire que dans une ville comme Genève, on est loin du compte. Le bitume a vocation à venir jusqu’au pied des arbres. L’espace public est saturé d’usages tous prioritaires sur les espaces verts. Le sous-sol est truffé de parkings, de canalisations et de réseaux. Planter un nouvel arbre dans des quartiers aussi denses que les Pâquis ou la Jonction est devenu mission impossible.

C’est en ville que l’on a le plus besoin d’arbres pour combattre les îlots de chaleur, générer de l’ombre ou encore créer des zones de détente

«Pourtant, c’est en ville que l’on a le plus besoin d’arbres pour combattre les îlots de chaleur, générer de l’ombre ou encore créer des zones de détente», estime Éric Amos, professeur à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (Hepia), et corédacteur du rapport «Nos arbres» qui vient de paraître (lire article principal ci-contre) et qui dresse le bilan et les perspectives du patrimoine arboré du canton de Genève.

«Si l’on veut qu’un arbre contribue au bien-être des humains, il convient de se préoccuper d’abord du sien, poursuit-il. Un arbre commence à générer un bénéfice pour la ville et son environnement à partir de vingt ans. Si les conditions dans lesquelles il croît ne lui sont pas favorables, il n’atteindra jamais ce stade et pourrait même périr avant. C’est alors un investissement de vingt ans qui est gaspillé.»

Actuellement, les arbres de la ville doivent se contenter en général de 9 m3 de terre fertile. Mais même cet espace réduit est difficile à dégager. Pour améliorer la situation, les architectes paysagistes associés aux ingénieurs ont développé des solutions telles que le mélange terre-pierres. Ce dernier est composé de pierres et de cailloux assez résistants pour supporter les usages de surface mais suffisamment grossiers pour laisser 30% de vide, un espace qui peut accueillir de la terre et les racines. Du coup, les arbres peuvent bénéficier d’un espace plus important pouvant atteindre les 25 m3. Les racines peuvent même toucher les excroissances de l’arbre voisin si les fosses destinées à recevoir les plantes sont continues.

Les réseaux souterrains pléthoriques qui passent sous les trottoirs freinent les initiatives

Mais les réseaux souterrains pléthoriques qui passent sous les trottoirs freinent les initiatives. «Si l’on voulait rationaliser la situation et libérer les espaces sous les trottoirs, cela coûterait entre 1000 et 10 000 francs le mètre, explique Éric Amos. En d’autres termes, on parle de chantiers qui atteindraient rapidement le million ou la dizaine de millions de francs.»

De mauvaises conditions de vie rendent aussi les arbres plus vulnérables aux maladies. Certains d’entre eux ont déjà subi beaucoup de dégâts. Les ormes ont en effet quasiment disparu du canton sous les coups de boutoir de la graphiose, une affection fongique. Les arbres genevois sont actuellement en assez bonne santé mais de nombreuses menaces telles que la chalarose du frêne ou le chancre coloré du platane obligent les spécialistes des espaces verts à prendre de grandes précautions pour éviter les épidémies.  —