Journal n°149

Genève manque d’arbres. Il faut en planter 9,6 km2 d’ici à 2050

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Du haut de ses 120 ans, le platane imposant de la place du Cirque domine et structure l’espace d’un des carrefours les plus empruntés de la ville. Rien de tel qu’un grand arbre pour planter le décor, adoucir la vue, ombrager le trottoir et filtrer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, le bruit et la pollution. S’il n’était pas là, on aurait droit à un désert de bitume de plus. Les arbres rendent service et il devrait y en avoir davantage sur le territoire du canton de Genève, en ville aussi bien qu’à la campagne.

Tel est en tout cas le message principal du rapport «Nos arbres» publié le 13 septembre. Fruit de trois ans de travaux, le document synthétise les résultats d’un projet réalisé sur mandat de la Ville de Genève et financé par son Fonds G’innove. Il a été cosigné par Martin Schlaepfer, chargé de cours à l’Institut des sciences de l’environnement (Faculté des sciences).

Combien y a-t-il d’arbres à Genève?
Martin Schlaepfer
: En 2009, le canton de Genève en comptait un peu plus d’un million, isolés ou en forêt.

Comment avez-vous obtenu ce chiffre?
Nous nous sommes basés sur des images radar, des données cartographiques du canton ainsi que sur des pointages sur le terrain pour affiner les données, surtout en forêt où la précision est moins bonne. Notre premier résultat est donc une carte de la densité d’arbres du canton (la première du genre pour Genève). Mais le plus important, ce n’est pas tant le nombre d’arbres que leur canopée. Nous avons pu estimer que celle-ci crée de l’ombre sur 21,1% du territoire du canton, sans compter le lac.

Est-ce suffisant?
Nous nous appuyons sur un faisceau d’indices pour affirmer que cette proportion est insuffisante. Nous nous basons sur le résultat de votations populaires, notamment celle sur le réaménagement de la plaine de Plainpalais, ou d’ateliers que nous avons organisés et dont les participants, issus d’horizons très différents, ont exprimé une préférence personnelle pour une canopée couvrant entre 30 et 40% du territoire. Ces taux correspondent d’ailleurs aux objectifs en la matière de nombreuses autres villes telles que Philadelphie (30% en 2028), Melbourne (40% en 2040) ou encore Lyon (30% en 2050).

Que proposez-vous?
Nous préconisons un objectif assez conservateur qui est d’arriver à une couverture de 25% en 2050. Cela implique tout de même de rajouter l’équivalent de 9,6 km2 de canopée, ce qui est énorme. On peut réussir si, durant quinze ans, chaque commune plante 80 nouveaux arbres et 20 futurs très grands arbres par an. Notre stratégie est soutenue par la littérature scientifique qui montre que beaucoup des bienfaits des arbres sont avérés en tout cas avec une couverture de 25%.

On estime qu’un arbre, au cours de sa vie, rend à la collectivité entre 2 et 5 fois les coûts qu’il a engendrés en termes de santé et de bien-être.

Quels sont ces bienfaits?
Nous parlons de services écosystémiques, c’est-à-dire des fonctions qui émanent de la nature (les arbres en l’occurrence) et qui contribuent directement ou indirectement au bien-être humain: détente, soutien à d’autres espèces animales ou végétales, paysage, rétention de l’eau de pluie, captation du carbone, réduction du bruit, etc. On estime qu’un arbre, au cours de sa vie, rend à la collectivité entre 2 et 5 fois les coûts qu’il a engendrés en termes de santé et de bien-être.

Où faut-il planter les arbres qui manquent?
Nous avons essayé d’identifier les zones prioritaires en privilégiant quatre services: la détente (selon l’Organisation mondiale de la santé, chaque habitant devrait pouvoir accéder à un espace vert de 2 hectares à moins de 300 mètres de chez lui), la biodiversité (des «corridors verts» irriguant le territoire ont en particulier été identifiés par la Ville et l’État de Genève), l’atténuation des îlots de chaleur et la qualité de l’air (en privilégiant les zones où il est le plus pollué). Nous en avons tiré une carte (voir ci-dessus) qui indique en rouge les endroits où il faudrait intervenir en premier.

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Cela risque d’être difficile dans le centre-ville.
En effet. La place manque cruellement dans cette zone. Souvent, les limites viennent des réseaux urbains souterrains (canalisations) ou aériens (fils électriques). Nous n’avons pas pu analyser jusqu’à quel point cela vaut la peine de les déplacer, ce qui engendre de grands frais, pour planter des arbres. Il nous manque des connaissances essentielles pour cela, notamment les taux de survie des arbres dans différents environnements. En revanche, le quartier Praille-Acacias-Vernets (PAV), défaillant en tout du point de vue des arbres, représente une opportunité évidente. C’est l’occasion rêvée d’intégrer la plantation d’arbres dès la conception de ce projet d’urbanisme de grande ampleur.
Pensez-vous que l’objectif de planter 9,6 km2 d’arbres d’ici à 2050 soit réalisable?
Notre étude montre que sans l’aide des propriétaires privés, dont les terrains échappent au contrôle foncier des communes, nous n’y arriverons probablement pas. Il faudra donc sans doute réfléchir à un système d’incitation. À Paris, cela existe déjà. Les services de la ville offrent des conseils, se déplacent pour vérifier l’adéquation du sol et choisissent avec les propriétaires les espèces les mieux adaptées à la situation. Le privé, lui, se charge de l’entretien, de l’élagage et de l’abattage si nécessaire.

Quels arbres faut-il planter?
Nous conseillons de planter des arbres ayant le potentiel de devenir grands même s’ils prennent des années à atteindre leur taille maximale. Ils ont un impact plus important, à l’image du platane de la place du Cirque. Ce n’est pas toujours possible, surtout en ville. À moins que l’on n’enlève les voitures. Ce qui, pour l’instant, n’est pas imaginable.

Quelles essences faut-il privilégier?
La biodiversité locale est riche et doit être préservée. Mais il faut aussi tenir compte des changements climatiques. Un arbre peut vivre au-delà de 100 ans et, d’ici là, le climat genevois ressemblera à celui du nord de l’Espagne ou du sud de l’Italie. Nous invitons donc les responsables du patrimoine arboré à considérer aussi, en plus des espèces locales, des essences venues du sud telles que le micocoulier de Provence, le noisetier de Byzance ou encore le sophora du Japon. Certaines espèces risquent toutefois d’importer des maladies. Autant de contraintes dont il faut tenir compte. Nous rentrons dans une période d’incertitude et il faudra être prêts à expérimenter et même à subir quelques échecs en cours de route.  —