Journal n°151

Télétravail: l’état du droit en Suisse

image-2.jpgLa législation suisse est relativement peu diserte en matière de télétravail. Le droit public en mentionne la possibilité pour le personnel de la Confédération, sans donner plus de détails. Aucune réglementation ne figure en revanche dans le droit privé à ce sujet. Ce vide juridique reflète les pratiques du monde professionnel. Le télétravail est certes en augmentation depuis une décennie, mais il est loin de se généraliser, et la plupart des employeurs ne manifestent guère d’empressement à l’encourager auprès de leur personnel, à émettre des règles à ce sujet et à les faire connaître, alors que la plupart des études montrent les bénéfices qu’ils peuvent retirer de ce mode de fonctionnement.

Dans ce contexte, le règlement cantonal sur le télétravail des employés de l’État de Genève, entré en vigueur en 2010, fait figure d’exception. À travers les nombreuses précisions sur la manière dont le télétravail doit être encadré, il pose des jalons dans un domaine encore peu exploré.

Le règlement pose d’abord comme principe de base le caractère volontaire et réversible du télétravail, aussi bien pour l’employé que pour l’employeur. Il n’est donc pas un droit acquis. Un certain nombre de conditions sont ensuite avancées. Le télétravail convient à des activités où l’employé dispose d’un degré élevé d’autonomie et qu’il peut mener sur la base d’une gestion par objectifs. Les résultats du travail effectué doivent pouvoir se mesurer facilement et de manière objective, tout en faisant l’objet de contrôles réguliers. Les investissements techniques et organisationnels impliqués par le télétravail ne doivent pas être disproportionnés. Enfin, le taux d’occupation de la personne doit être égal ou supérieur à 50%.

Les modalités du télétravail sont également précisées dans le règlement. Elles doivent faire l’objet d’un accord écrit entre l’employé, son supérieur hiérarchique et le secteur des ressources humaines, après que ce type d’activité aura été autorisé par le secrétaire général du département concerné. La part de télétravail doit être au minimum d’une journée non fractionnée par semaine et elle ne peut pas excéder 50% du temps de travail ordinaire.

La législation insiste sur la nécessité d’établir des critères objectifs définissant le type d’activités concernées

L’une des questions les plus délicates concernant le télétravail est le sentiment d’inégalité de traitement qu’il peut provoquer au sein d’une équipe, entre les personnes habilitées à effectuer du télétravail et celles qui ne le sont pas. C’est la raison pour laquelle la législation insiste sur la nécessité d’établir des critères objectifs définissant le type d’activités concernées ainsi que des règles accompagnant leur déroulement. La plupart des employeurs envisagent aujourd’hui le télétravail par blocs-horaires de journées ou demi-journées, et non pas comme une possibilité pour l’employé de quitter son poste de travail quand bon lui semble. En vertu du droit suisse, aucune discrimination ne saurait par ailleurs être établie entre les employés autorisés à effectuer du télétravail et ceux qui ne le sont pas sur la base du sexe ou de la nationalité.

Chargé d’enseignement à la Faculté de droit, Aurélien Witzig a consacré quelques lignes de son récent ouvrage sur le thème du droit du travail en Suisse (*) à la question du télétravail. Aucune réglementation n’étant prévue à ce sujet dans le droit privé, toute latitude est donc laissée aux parties au sein des entreprises. Afin de veiller au respect de la réglementation plus générale sur le travail, trois aspects nécessitent toutefois une attention particulière, estime Aurélien Witzig. L’employeur a ainsi l’obligation de veiller à ce que la personne effectue son télétravail dans des locaux qui ne mettent pas sa santé en danger. Le fait de travailler à distance ne doit pas entraîner pour l’employé des frais qui ne sont pas censés être à sa charge. Enfin, si l’employé en télétravail doit être atteignable par ses collègues ou responsables hiérarchiques pendant ses heures de travail, l’employeur doit s’assurer qu’il ne soit pas sollicité en dehors des horaires normaux.  —

* Aurélien Witzig, Droit du travail, Schultess éd., 2018