Journal n°154

Une passerelle entre la recherche et le monde de l’entreprise

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Laurent Miéville

La Suisse figure depuis une dizaine d’années dans les cinq premières places des classements mondiaux de l’innovation (1re de 2016 à 2018), alors qu’elle occupait seulement le 15e rang il y a deux décennies. La création de structures de transfert de technologies dans les hautes écoles suisses a joué un rôle déterminant dans cette progression.

À la fin des années 1990, le modèle californien de création d’entreprises dans le secteur des technologies de pointe commence à essaimer. En Suisse comme ailleurs, on parle beaucoup de la nouvelle économie basée sur l’innovation. Du côté des universités, les groupes de recherche sont, eux aussi, de plus en plus nombreux à vouloir valoriser les résultats de leurs travaux à travers des applications commerciales. Le transfert de technologies en est encore à ses balbutiements, mais tout se met en place assez rapidement.

De retour en Suisse après un séjour de plusieurs années à l’Université Stanford et au sein d’une start-up de la Silicon Valley, Laurent Miéville est mandaté par le recteur de l’UNIGE Bernard Fulpius pour mettre sur pied Unitec en 1999. Des entités similaires existent depuis peu à l’EPFL et à Bâle. Dans la foulée, l’Association suisse des professionnels du transfert de technologies sera créée en 2003 et Unitec s’ouvrira aux HUG et à la HES-SO Genève. Vingt ans plus tard, le succès est au rendez-vous. Explications.

Le Journal: Quelle a été la clé du succès du transfert de technologies en Suisse?
Laurent Miéville: Nous avons d’emblée partagé nos expériences avec les différentes antennes qui se mettaient en place dans les hautes écoles. Cet esprit de collaboration a été un élément déterminant du succès. Par ailleurs, nous avons su maintenir une approche flexible, avec des fonctionnements équilibrés, respectueux des attentes des uns et des autres, aussi bien celles des scientifiques que celles des investisseurs. Cela a permis de préserver l’indépendance de la recherche, tout en maintenant au maximum la liberté des deux parties de pouvoir négocier dans un cadre qui ne soit pas trop contraignant.

Entre l’académie et l’entrepreneuriat, c’était la rencontre de deux mondes assez différents?
Au moment de la création d’Unitec, le physicien Nicolas Gisin avait déjà créé sa start-up GAP Optique SA. Cela prouve qu’un bon chercheur peut aussi être un entrepreneur reconnu. Les contacts existaient donc, mais ils étaient parfois compliqués. Certains groupes de recherche s’étaient grillé les ailes en signant des accords qui, sans qu’ils s’en rendent compte, ne leur étaient pas favorables. Nos premières actions ont visé à mieux protéger leurs intérêts et ceux de l’Université. Mener de front les deux activités, de chercheur et d’entrepreneur, reste malgré tout extrêmement difficile. Il est souvent nécessaire d’avoir les deux casquettes au départ, mais cette situation ne doit pas perdurer, pour deux raisons. D’une part, il y a le risque de ne pas avoir suffisamment de temps à disposition pour se consacrer entièrement aux deux activités et, d’autre part, cela peut donner lieu à des conflits d’intérêts. Sur ces différents aspects nous avons mis en place un large éventail de bonnes pratiques et de garde-fous permettant de protéger les chercheurs.

De très nombreuses innovations proviennent de la recherche de base

Existe-t-il un modèle de transfert de technologies?
J’en vois deux principaux. Le premier est similaire à une transmission de témoin. C’est typique de la valorisation des travaux de recherche fondamentale. Des chercheurs financés par des fonds publics effectuent des travaux avec des visées essentiellement théoriques. Mais en cours de route, ils font une découverte qui pourrait avoir une application pratique. Notre rôle est de déterminer si un potentiel commercial existe pour cette application. Le cas échéant, il peut être nécessaire de déposer un brevet avant de trouver un partenaire économique avec qui négocier un contrat de licence. De très nombreuses innovations proviennent ainsi de la recherche de base. Mais il faut être patient. Entre l’apparition d’une  découverte et sa valorisation par une entreprise, les projets traversent souvent une «vallée de la mort». Pour combler ce fossé, nous avons créé il y a 10 ans le fonds Innogap qui permet de continuer à financer le développement d’une invention le temps qu’elle devienne attractive pour une entreprise. Il faut aussi disposer d’un vivier d’entrepreneurs prêts à prendre des risques. C’est ce qui nous a conduits à lancer, avec d’autres partenaires genevois, la Semaine de l’entrepreneuriat, afin d’encourager les étudiants à tenter leur chance.

Et le deuxième modèle?
Un groupe de recherche et une société décident de collaborer à un projet de recherche. Ce modèle convient mieux à la recherche appliquée et produit généralement des résultats plus rapides. Dans certains cas, les découvertes faites dans ce cadre ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche fondamentale. Cela fonctionne donc dans les deux sens.

Le mélange de recherche en sciences humaines et de composants technologiques produit souvent des résultats intéressants

Accompagnez-vous aussi des projets en sciences humaines?
Les sciences de la vie et la physique sont nos principaux interlocuteurs. Nous collaborons toutefois fréquemment avec le Centre interfacultaire en sciences affectives, qui a de nombreuses et fructueuses collaborations avec l’industrie. D’ailleurs, le mélange de recherche en sciences humaines et de composants technologiques produit souvent des résultats intéressants.

Ne craignez-vous pas que les transferts de technologies influencent de manière excessive la recherche scientifique?
Je pense que le risque est plus marqué vis-à-vis des rankings qui deviennent incontournables. Cela dit, c’est un risque et nous y sommes attentifs. La tentation de suivre les tendances du moment n’est pas toujours favorable à l’innovation. Pour trouver de l’originalité, il faut parfois regarder là où personne ne pose les yeux. —


Conférence
Anniversaire  — Mercredi 23 janvier 2019 à 17h
Innovation Ecosystems:
Insights from Silicon Valley and Tel Aviv
par Kathy Ku, Gil Granot-Maye, Antoine Geissbhuler et Patrick Aebischer
Campus Biotech, main auditorium


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L’innovation en sciences a son centre

3.jpgDans une volonté de favoriser l’innovation et les start-up à la Faculté des sciences, le Geneva Science Innovation Hub ouvrira ses portes en janvier prochain sur le site des Sciences, au bord de l’Arve. Un espace de travail collaboratif sera ainsi mis à la disposition des collaborateurs et collaboratrices de la Faculté qui souhaiteraient concevoir un prototype, établir une preuve de concept, développer une start-up ou encore rencontrer des investisseurs ou des professionnels de l’innovation.

Le lieu sera notamment animé par des séminaires ou des formations dans le domaine de l’innovation ou de la propriété intellectuelle, en collaboration avec Unitec, le Geneva Creativity Center ou encore le Laboratoire de technologie avancée. Les projets qui pourront obtenir une place au sein du pôle seront sélectionnés dans le cadre d’un concours, le Prix Inno­Sciences, ouvert toute l’année.