Du genre à l’individu
«Avant une éventuelle autorisation de mise sur le marché, un traitement passe par trois phases d’essais cliniques», explique Carole Bourquin, professeure ordinaire de pharmacologie à la Faculté de médecine et spécialiste de l’immunopharmacologie du cancer. Dans un premier temps, les aspects de sécurité et de tolérance sont testés sur un petit groupe de personnes en bonne santé, en général des hommes jeunes. Puis l’efficacité du traitement est évaluée sur quelques dizaines de patients dont, par la force des choses, certains sont des femmes. Enfin, son efficacité est comparée à celle d’autres traitements sur plusieurs centaines de patients et patientes.
Le pourcentage de femmes augmente donc au cours des différentes phases, mais leurs éventuelles particularités en termes de réponse au traitement, induites par des différences et des variations hormonales, peuvent être difficiles à observer si le nombre de participantes est trop faible.
Le cadre légal des essais cliniques a longtemps et volontairement cherché à exclure les femmes pour des raisons de sécurité
«Le cadre légal des essais cliniques a longtemps et volontairement cherché à exclure les femmes pour des raisons de sécurité, indique Carole Bourquin. Mais la tendance s’inverse. La Food and Drug Administration (FDA), l’organe régulateur américain en termes de médicaments, a ainsi émis en 1993 des recommandations non contraignantes afin d’inclure les femmes dès la phase 1. Depuis, la proportion de femmes dans les essais cliniques a augmenté et atteint 40 à 50% dans les études mixtes de phase 3.» En Suisse, ce sont les commissions d’éthique de la recherche qui évaluent les protocoles et le design des essais cliniques. Swissmedic, dont la tâche est d’évaluer la qualité et la sécurité des produits testés, ne traite pas la question du genre, ne fait pas de recommandations et n’a pas d’exigences en la matière, selon sa porte-parole, Danièle Bersier.
Une fois un traitement mis sur le marché, l’essai clinique se poursuit lors d’une quatrième phase. Ce suivi à long terme vise à détecter les effets secondaires rares et inattendus. C’est précisément cette phase qui a permis de mettre en évidence les différences de réponse au traitement liées au sexe, mais pas seulement, comme l’explique Carole Bourquin: «Je travaille actuellement sur un projet de recherche soutenu par la Ligue suisse contre le cancer portant sur l’impact de l’obésité sur nos défenses immunitaires anticancéreuses. Nous étudions comment des facteurs associés à l’obésité, tels qu’un régime riche en lipides ou la présence d’hormones, notamment sexuelles, influencent les traitements anticancéreux ciblant les cellules immunes.»
Selon la chercheuse, la question du genre et de son impact sur la réponse à un traitement pousse les scientifiques à mieux en comprendre les mécanismes: «À l’aide d’outils big data, l’étude de ces questions est un pas en direction d‘une médecine individualisée qui vise à ce que chaque patient reçoive le traitement qui lui soit le plus approprié », conclut-elle. —