Journal n°170

«La réponse humanitaire doit mieux s’intégrer aux systèmes de santé locaux»

Professeur à la Faculté de médecine, Karl Blanchet a succédé, en décembre dernier, à Doris Schopper à la tête du Centre d’études humanitaires de Genève (CEHG), anciennement Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire. À l’heure d’entamer son mandat, il trace les principaux axes qui doivent permettre au CEHG d’adapter ses prestations aux changements affectant le secteur humanitaire.

Vous parlez d’un nouveau paysage humanitaire. Pouvez-vous le caractériser?

Il y a d’abord un changement d’échelle. Nous sommes de plus en plus confrontés à des conflits armés entraînant des souffrances et des dégâts énormes, et affectant de très nombreux civils. Le constat est similaire en ce qui concerne les désastres naturels. Cette augmentation de l’intensité des crises excède largement les capacités de réponse du système humanitaire actuel. Pour l’assistance aux réfugiés, par exemple, seuls 50% des ressources nécessaires sont disponibles. Le second changement tient à la nature même des crises. Les humanitaires sont de plus en plus souvent amenés à répondre à des problèmes de santé chroniques lors de leurs interventions, ce qui pose un dilemme moral. Aujourd’hui, on sait où commence une mission, on ne sait plus où elle s’arrête.

L’action humanitaire pallie-t-elle le déficit des systèmes de santé des pays où elle intervient?

Ce n’est pas forcément que ces systèmes fonctionnent mal. Ils sont plutôt submergés. Le Liban, par exemple, doit faire face à un afflux de réfugiés représentant 24% de la population du pays. Même la Suisse serait à la peine dans une telle situation. Quoi qu’il en soit, l’humanitaire a souvent tendance à créer un système de santé parallèle. Mais c’est en train de changer. La réponse humanitaire doit en effet mieux s’intégrer aux systèmes existant dans les pays, ce qui passe notamment par une meilleure présence en milieu urbain.

Pourquoi cela?

Les crises humanitaires sont de plus en plus des crises urbaines. Nairobi ou Beyrouth accueillent actuellement des centaines de milliers de réfugiés. Le modèle d’espace humanitaire symbolisé par un camp fonctionnant de manière cloisonnée n’est plus adéquat dans les crises actuelles. On dénombre aujourd’hui davantage de réfugiés dans les villes que dans les camps. Cela exige un effort d’adaptation de la part des acteurs humanitaires: comprendre le tissu social urbain, les services offerts par les collectivités publiques ou la société civile et identifier les modes d’intégration possibles.

Comment adapter les activités du CEHG à cette nouvelle donne?

Aujourd’hui, les premières personnes qui interviennent sur le terrain appartiennent très souvent à des organisations locales. Mais ces personnes sur la ligne de front sont souvent privées d’accès à nos formations, faute de temps et d’argent ou en raison de difficultés à obtenir des visas. Il est crucial de nous adapter afin de pouvoir les atteindre. Dans cette optique, le CEHG a mis en place depuis une année un programme consistant à offrir des bourses à ces acteurs humanitaires qui ne viennent pas du milieu international. Mais nous voulons aller plus loin. Nous allons nous déplacer, en proposant des formations «butinage» combinant des cours en ligne et en présentiel sur le terrain. Nous réfléchissons également à la création de hubs régionaux,  en nous inspirant de ce qui a très bien marché avec le programme de l’UNIGE InZone, qui propose des formations en communication multilingue à des communautés affectées par des conflits. C’est un programme que je codirige depuis quelque temps et avec lequel nous prévoyons d’établir des passerelles en matière de formation. Parallèlement, cette implantation régionale va nous permettre de mener des recherches de terrain, de récolter des données inédites et de documenter de nouvelles pratiques humanitaires.

Comment repenser la relation Nord-Sud sans patronage?

En multipliant les cours en ligne, nous allons toucher des acteurs locaux qui pourront bénéficier de nos formations. J’aimerais aussi que des habitants de camps de réfugiés au Kenya ou en Jordanie nous donnent des cours à nous, acteurs humanitaires internationaux. Il faut valoriser et diversifier les perspectives. Nous avons beaucoup à apprendre et c’est en faisant entendre la voix de ces personnes sur la ligne de front que nous pourrons adapter nos pratiques. Certains parlent de décolonisation de l’action humanitaire. Le terme est certainement un peu fort, mais nous pouvons parler de recentrage de la formation à l’action humanitaire. —

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Bio express

Nom: Karl Blanchet
Titre: Professeur ordinaire à la Faculté de médecine, directeur du Cerah
Parcours: Études dans le domaine de la santé publique. Travaille au sein de la London School of Hygiene. Nommé codirecteur du Health in Humanitarian Crises Centre in 2016. Rejoint le CEHG en 2019.

Le cehg en bref

Date de création: 2008
Institutions partenaires: outre l’UNIGE et l’IHEID, le CEHG a de nombreux partenaires, parmi lesquels le CICR, MSF et la SDC
Nombre de collaborateurs académiques: 18 internes et plus de 100 externes
Nombre détudiants: 200
Nombre de formations proposées: 22, dont 1 MAS, 1 DAS et 4 CAS ainsi que 16 «Executive Short Courses»