Journal n°170

Quand les restes des victimes disent l’horreur des crimes de masse

image-9.jpgLes traces des crimes de masse ne disparaissent jamais totalement. Au centre de toutes les investigations, les restes des victimes sont recherchés, exhumés, récoltés et, si possible, identifiés. Cette quête soulève quantité de questions. Celles-ci seront abordées dans le cadre d’une trilogie de films. La projection de chacun d’entre eux sera suivie d’un débat permettant d’entamer la réflexion sur de multiples enjeux. Proposé par la professeure Sévane Garibian (Département de droit pénal), l’événement en est à sa troisième édition. Rencontre.

Le Journal: Quel bilan tirez-vous des deux premières éditions?

Sévane Garibian: Chaque projection a été un succès, rassemblant en moyenne 150 à 200 personnes, majoritairement des étudiants et des étudiantes, mais aussi un public plus large, dans l’esprit qui anime cette trilogie: le dialogue interdisciplinaire, dans une perspective pédagogique, scientifique et d’ouverture à la cité.

Pourquoi avoir choisi la thématique de l’exhumation des restes humains pour l’édition 2020?

Après le travail autour de la parole singulière des bourreaux en 2018, puis l’analyse de procès hors du commun en 2019, il m’a semblé intéressant d’aborder cette année la question de la recherche et de l’identification des restes des victimes et l’importance de l’expertise forensique dans ce contexte. Chaque film donne des clés essentielles de compréhension et d’analyse de problématiques très concrètes auxquelles nous sommes confrontés notamment sur le terrain.

Qu’est-ce qui vous a guidée dans le choix des trois films qui seront projetés?

C’est la richesse des questions que chaque film, documentaire ou fiction, permet de soulever à travers le regard d’un réalisateur. Chaque projection est d’ailleurs suivie d’un débat-discussion avec les cinéastes en question et des spécialistes du domaine, puisque l’objectif est d’initier une réflexion critique.

Quelles questions soulève l’exhumation des corps dans le cadre de violences politiques?

Les diverses pratiques d’exhumation posent des questions d’ordre à la fois juridique, politique, religieux, éthique, etc. Ces dernières varient selon les contextes et les acteurs impliqués dans de telles pratiques. Les questions ne sont pas les mêmes selon que les exhumations sont clandestines ou cadrées par le droit, si elles sont opérées en présence, ou non, des familles des victimes, avec ou sans l’aide de l’État, etc. Dans tous les cas cependant, il s’agit de mobiliser les rapports complexes entre les vivants et les morts, d’une part, et entre les professionnels et les familles de victimes, d’autre part, dans des configurations parfois tendues. Il s’agit aussi de garder à l’esprit l’exigence fondamentale de sauvegarde de la dignité humaine.

Comment l’étude des corps retrouvés peut-elle prouver un projet génocidaire?

L’intention génocidaire implique la volonté de détruire un groupe particulier tout ou partie. Cette intention spéciale, difficile à prouver, peut par exemple être mise au jour par le modus operandi des criminels, leur manière de cibler certains membres du groupe victime ou même de profaner leurs corps après leur mort… tout cela peut se révéler par les expertises faites sur les corps des victimes retrouvés dans des charniers. Ce travail a par exemple été décisif concernant Srebrenica, dans le cadre du travail mené par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Qu’en est-il de la restitution des restes humains?

Ces restes, une fois identifiés, doivent être restitués aux proches pour leur permettre d’offrir au défunt le rituel funéraire approprié et d’entamer leur propre travail de deuil. Mais la question des restitutions est aussi fondamentale, et d’une grande actualité, dans des contextes comme ceux de l’histoire coloniale et des collections muséales de restes humains qui en découlent. —


12 mars, 2 avril, 7 mai
Exhumer la violence politique
Trois films, trois débats
Théâtre Pitoëff, Uni Mail, Auditorium Arditi