Jouer de la musique en orchestre augmente les aptitudes cognitives
La musique exerce un effet favorable sur la mémoire, la flexibilité cognitive, l’autonomie et l’empathie. Tel est le résultat d’une récente étude menée par une équipe du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA) en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Gênes et de l’Institut de recherche et coordination acoustique de Paris (Ircam). Mandaté par la Philharmonie de Paris-Cité, ce travail relève le défi consistant à mesurer de manière objective les retombées en termes de développement cognitif ou d’inclusion sociale d’un projet français appelé Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Lancé en 2010, celui-ci vise à favoriser l’accès à la musique classique par la pratique instrumentale en orchestre afin de lutter contre l’érosion naturelle d’un public vieillissant mais aussi avec l’idée de donner à de futurs citoyens issus de quartiers défavorisés des clés pour optimiser le «vivre-ensemble». Centré sur les zones d’éducation prioritaires (ZEP) françaises, Démos regroupe aujourd’hui une quarantaine de formations comprenant chacune une centaine d’enfants âgés de 7 à 13 ans.
«Notre objectif consistait à développer des outils d’évaluation solides sur le plan scientifique et assez accessibles pour pouvoir être ensuite transmis aux praticiens, à savoir les professeurs de musique et les éducateurs qui travaillent avec ces enfants», résume Donald Glowinski, chargé de cours à la Section de psychologie et responsable de l’étude.
Briser la glace
Pour cela, il a d’abord fallu que les chercheurs se fassent accepter par ces mêmes praticiens. «Lorsque vous débarquez en banlieue, dans un atelier où le timing est rigoureusement minuté et où la priorité reste de faire de la musique, vous n’êtes pas forcément accueilli à bras ouverts en tant que scientifique, précise Donald Glowinski, également responsable du nouveau programme de formation continue de l’UNIGE sur les compétences émotionnelles en situation professionnelle. Au départ, les éducateurs sociaux étaient assez sceptiques. Il a donc fallu beaucoup discuter, rassurer, s’adapter afin de perturber le moins possible le déroulement du cours. Cette dimension participative était essentielle à nos yeux pour que nos travaux soient utiles au-delà de leur publication.»
Une fois la glace brisée, l’équipe de scientifiques est intervenue au sein de trois orchestres de niveaux différents (débutant, intermédiaire, avancé) en commençant à chaque fois par un questionnaire général portant sur la relation aux autres, au travail en orchestre, au projet Démos, etc.
Les chercheurs ont ensuite sélectionné et adapté sur des tablettes tactiles des jeux spécifiquement développés pour pouvoir mesurer la mémoire de travail (soit le nombre d’informations retenues à court terme par un individu), la réponse émotionnelle face à telle ou telle situation, la capacité d’attention ou encore la flexibilité cognitive, autrement dit la faculté à intégrer une consigne, à agir en conséquence et/ou à s’adapter à un changement de règle.
La troisième série de mesures, conduite par l’entremise d’applications interactives spécialement conçues pour l’expérience, a permis d’évaluer de manière ludique le degré de précision et de synchronisation des élèves musiciens lors de tâches d’imitation effectuées en groupe.
«L’enjeu majeur était de créer des scénarios d’interactions musicales collectives basés sur des pratiques pédagogiques existantes comme les échauffements ou les exercices de groupe, détaille Donald Glowinski. L’application que nous avons développée en collaboration avec l’Ircam permet de jouer des sons et de les moduler en fonction des postures et des mouvements de l’utilisateur par le biais d’un iPod fixé au poignet. Grâce à l’accéléromètre et au gyroscope contenus dans l’appareil, les données de chaque élève sont quantifiées de manière très précise.»
Progrès spectaculaires
Globalement, les résultats obtenus après deux ans de suivi montrent une évolution significative du développement des capacités cognitives et émotionnelles des enfants dès la première année de participation au projet en comparaison avec des enfants du même âge ne faisant pas de musique en groupe. Mais c’est surtout entre la deuxième et la troisième année de pratique que les changements sont les plus spectaculaires, puisque la marge de progression en matière de mémoire de travail, de reconnaissance émotionnelle et de flexibilité cognitive est multipliée par un facteur allant de trois à cinq selon l’âge concerné.
«Les premières années passées au sein de l’orchestre semblent surtout favoriser les capacités à imiter des mouvements continus et à se synchroniser collectivement, commente Donald Glowinski. Cela est en adéquation avec la pédagogie particulière de Démos, où l’apprentissage du mouvement et de la pratique collective est particulièrement mis en avant durant cette période. Les progrès constatés chez les participants dans la suite de leur parcours concernent, eux, plus spécifiquement la gestion des émotions. Ils se traduisent notamment par des gains en autonomie, une meilleure qualité d’écoute et une plus grande capacité à entrer en résonance avec les autres.» —