Développé au Département de physique nucléaire et corpusculaire, un détecteur très performant permet d’étudier les rayons cosmiques les plus énergétiques qui bombardent sans cesse la Terre.
Ce télescope installé à l'Observatoire Ondřejov près de Prague en République tchèque est équipé d'une caméra genevoise (située à gauche, face au grand miroir), sensible au rayonnement Tcherenkov généré par l'arrivée de rayons cosmiques très énergétiques dans l'atmosphère. Image: UNIGE
Une caméra dernier cri développée par l’équipe de Teresa Montaruli, professeure au Département de physique nucléaire et corpusculaire (DPNC, Faculté des sciences), et destinée à l’étude des rayons cosmiques a capté sa première lumière la semaine dernière. Monté sur le télescope SST-1M de l’Observatoire Ondřejov près de Prague en République tchèque, l’instrument mis au point sous la direction de Matthieu Heller, chercheur au DPNC, est sensible aux flashs de lumière bleue qui ne durent que quelques nanosecondes et qui sont produits par l’entrée des rayons gamma et cosmiques dans l’atmosphère. Dès sa première nuit de fonctionnement, la caméra a enregistré avec succès la signature de plusieurs événements, dont au moins un dirigé directement dans l’œil du télescope. Le télescope SST-1M a d’ores et déjà commencé une campagne d’observation de la supernova du Crabe, qui est une source de rayons gamma de très haute énergie bien connue.
«La Terre est bombardée en permanence par des rayons cosmiques, explique Domenico Della Volpe, maître d’enseignement et de recherche au DPNC, qui a participé au projet du SST-1M. Ils sont composés de toutes sortes de particules et d'ions venus de l’extérieur du Système solaire, voire de la Voie lactée. On a découvert leur existence il y a plus d’un siècle mais on ne les connaît toujours pas très bien, leur origine notamment reste mystérieuse. Pour en savoir plus, nous nous intéressons en particulier aux rayons gamma, c’est-à-dire des photons, ou grains de lumière, de très haute énergie. Comme ils sont électriquement neutres, leur trajectoire dans l’espace n’a pas été infléchie par les champs magnétiques qui règnent dans et entre les galaxies. Ils nous permettent donc de localiser leur source, même si elle est très lointaine.»
Vue de la caméra développée par le Département de physique nucléaire et corpusculaire dans laquelle se reflète le grand miroir du télescope. Image: UNIGE
La caméra genevoise est conçue pour détecter les rayons gamma les plus énergétiques produits et accélérés par les phénomènes les plus puissants de l’Univers: les trous noirs, les restes de supernovas, les pulsars… Lorsqu’ils pénètrent dans l’atmosphère, ces rayons gamma entrent fatalement en collision avec les molécules de l’air et se désagrègent. Ils produisent alors une gerbe de particules assez complexe qui se termine essentiellement par une pluie d’électrons et de positrons. Ces derniers dépassent la vitesse de la lumière dans l’air (la limite physiquement infranchissable est la vitesse de la lumière dans le vide, qui est légèrement supérieure). Ce phénomène génère une lumière bleue, dite rayonnement Tcherenkov que la caméra détecte.
Pluie de particules «Le télescope sur lequel est montée notre caméra n’est pas un instrument optique, explique Teresa Montaruli. Il s’agit d’un grand miroir reflétant directement l’image du ciel sur notre détecteur qui fait environ 1 mètre de diamètre et qui est composé de plus de 1200 'pixels' photomultiplicateurs en silicone.»
Vue du grand miroir du télescope gamma. Image: UNIGE
Les pixels de la caméra du SST-1M sont équipés de senseurs au silicium innovants dans le domaine de l’astronomie gamma et sont reliés à un système électronique sophistiqué qui permet une numérisation intégrale du processus d’acquisition des données. Le dispositif peut capturer plus de 1000 images par seconde et les traiter automatiquement presque en direct. Le déclenchement de la mesure est effectué avec une précision chronométrique de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de nanosecondes permettant ainsi à chaque pixel de reconstruire le développement dans le temps de la pluie de particules consécutive à l’entrée dans l’atmosphère d’un rayon gamma cosmique.
Selon ses concepteurs/trices, la technologie choisie par les scientifiques genevois-es est probablement la plus performante à ce jour en termes d’efficacité, de coût et de facilité de production. Elle a d’ailleurs été évaluée comme telle par un panel d’expert-es dans le grand projet Cherenkov Telescope Array (CTA) dédiés à l’étude des rayons cosmiques. Actuellement en développement, ce programme scientifique de plus de 300 millions d’euros prévoit l’installation de plus d’une centaine de télescopes sur les sites du Cerro Paranal au Chili et de La Palma en Espagne..
Ce projet est le résultat d’une collaboration avec l’Institut de physique nucléaire de l’Académie polonaise des sciences, l’Université Jagellon de Cracovie, en Pologne, l’Université Palacký d’Olomouc, en Moravie, et l’Institut de physique de l’Académie des sciences de la République tchèque. Ces deux dernières sont responsables de l’installation du télescope SST-1M à l’Observatoire d’Ondřejov. Dans deux semaines, un deuxième télescope, situé juste à côté, recevra une deuxième caméra, pour l’heure encore en phase de test dans le laboratoire du DPNC.
Par ailleurs, le projet SST-1M a également bénéficié de la précieuse collaboration de l’Observatoire astronomique de l’Université nationale Taras Shevchenko de Kyiv, dont le pays est actuellement victime d'une agression brutale par l'armée russe, fermement condamnée par l'Université de Genève.