15 février 2024 - Anton Vos

 

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Un revêtement bactéricide contre la résistance aux antibiotiques

Une équipe interdisciplinaire a mis au point des matériaux innovants qui empêchent les bactéries pathogènes de s’installer sur des surfaces sensibles. Ce projet au large spectre d’applications industrielles vient de recevoir un soutien substantiel d’Innosuisse.

 

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Colonie de bactéries sur un revêtement bactéricide immédiatement après leur dépose (à gauche) et une heure après (à droite). En vert les bactéries vivantes, en rouge les bactéries mortes. Image: UNIGE

 

Une des façons de lutter contre la prolifération des bactéries résistantes aux antibiotiques consiste à les empêcher de se déposer sur des surfaces stratégiques et de s’y reproduire tranquillement. C’est en tout cas le principe sur lequel s’appuie un revêtement bactéricide récemment mis au point par une équipe dirigée par Jorge Cors, chargé de mission au Département de physique de la matière quantique, et Karl Perron, chargé d’enseignement à l’Unité de microbiologie (Faculté des sciences). Composé d’alliages à base de titane et muni d’une structure invisible à l’œil nu, ce nouveau matériau a montré, selon ses concepteurs, une efficacité antimicrobienne spectaculaire contre les espèces responsables du plus grand nombre d’infections nosocomiales (c’est-à-dire survenant dans un milieu hospitalier), à savoir le staphylocoque doré, Escherichia coli et les salmonelles. Forte du résultat encourageant de cette approche, de sa mise en œuvre possiblement immédiate et de son grand potentiel de développement, l’équipe interdisciplinaire vient de décrocher une aide de plus de 600 000 francs sur dix-huit mois de la part d’Innosuisse, l’agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, afin de poursuivre les études.

 

«Notre solution repose sur une double attaque, explique Jorge Cors. Elle exploite le fait que certains alliages métalliques soient toxiques pour les bactéries et combine cela avec un dispositif mécanique. Ce dernier [tenu secret à ce stade, ndlr] est une structure nanoscopique, inspirée de ce que l’on peut trouver dans la nature et qui est capable d’endommager l’enveloppe cellulaire des bactéries qui se déposent dessus.»

Ce dispositif cible principalement (lire ci-dessous) les bactéries résistantes faisant partie de la liste des pathogènes identifiés comme prioritaires par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ces pathogènes représentent un fardeau tragique pour la santé publique. Ils seraient responsables de 700'000 décès par an dans le monde, un chiffre en augmentation et qui, selon l’agence onusienne, pourrait atteindre les 10 millions en 2050 si aucune mesure n’était prise.

Les hôpitaux figurent parmi les lieux les plus concernés par le problème puisque, par la force des choses, ces agents pathogènes résistants y sont apportés par les malades. Les surfaces de contact contaminées jouent un rôle fondamental dans leur transmission.

Les bactéries résistantes sont en effet capables de produire un biofilm qui sécrète une matière adhésive protégeant leur enveloppe membranaire. Ces biofilms se forment, par exemple, dans les microcavités creusées par le marquage d’identification au laser des instruments chirurgicaux et des implants, une opération qui deviendra obligatoire en Europe dès 2026 mais qui est déjà largement répandue dans le monde. Le problème, c’est que ces anfractuosités sont si petites qu’elles échappent aux techniques de désinfection classiques. Un certain nombre de bactéries peuvent ainsi survivre au processus de stérilisation et par la suite infecter la personne opérée ou implantée.

Étude de faisabilité
Le revêtement bactéricide genevois pourrait contribuer à résoudre ce problème puisqu’il empêcherait les bactéries de survivre et de produire leur biofilm protecteur. Une stratégie possible consisterait à sertir, sur tous les instruments chirurgicaux et tous les implants, une petite surface de quelques microns d’épaisseur composée du nouveau matériau sur laquelle le fabricant pourrait ensuite apposer la marque d’identification.

«L’étude de faisabilité est déjà terminée, résume Karl Perron. Nous avons en effet déjà identifié plusieurs alliages qui fonctionnent et qui sont très prometteurs. Nous voulons maintenant en découvrir d’autres et optimiser les combinaisons pour des cibles précises, car tous les alliages ne sont pas efficaces contre les mêmes bactéries. Nous souhaitons également évaluer les applications potentielles de notre produit, ce qui implique notamment de tester la durée de leur effet et de leur toxicité sur les cellules humaines saines.»

Un autre développement possible pour le revêtement bactéricide consisterait à mettre au point une méthode permettant de couvrir de plus grandes surfaces, éventuellement grâce à la technique dite du plasma coating déjà utilisée dans l’industrie. Cela permettrait de traiter des instruments médicaux entiers, les conduites et les filtres dans l’industrie alimentaire mais aussi des surfaces de contact du quotidien comme les poignées, les rampes d’escaliers, les robinets ou encore les boutons d’ascenseurs, et ce, dans les hôpitaux comme dans tous les endroits publics où la densité humaine – et donc les risques de contamination – est importante.

«Le développement de notre revêtement bactéricide a été possible grâce à une collaboration interdisciplinaire étroite, tient à souligner Jorge Cors. Mon laboratoire de physique et celui de microbiologie de Karl Perron ne sont éloignés que de quelques centaines de mètres, ce qui est le privilège d’une université aussi généraliste que celle de Genève. Cela nous permet d’avancer très vite. Tandis que mon équipe développe de nouveaux alliages, celle de mon collègue, qui possède une agrégation officielle pour travailler avec des organismes aussi dangereux que les bactéries résistantes aux antibiotiques, peut immédiatement tester leur efficacité.»

Un microscope devenu sertisseur

La technologie permettant de produire et de déposer le revêtement bactéricide (lire l’article principal) sur les surfaces métalliques est la même que celle qui est à l’origine d’une méthode de gravure microscopique sans bavure actuellement commercialisée par la start-up Phasis de l’Université de Genève, fondée et dirigée par Jorge Cors, chargé de mission au Département de physique de la matière quantique (lire aussi les articles dans Campus et le Journal de l’UNIGE). La technique est basée sur le microscope à effet tunnel, un appareil qui exploite une propriété de la physique quantique et qui est abondamment employé dans les laboratoires de physique. Muni d’une pointe extrêmement effilée circulant très près d’une surface sans jamais la toucher, cet instrument est capable de détecter et de manipuler – grâce à l’«effet tunnel», justement – des objets aussi minuscules que des atomes isolés.
Dans les années 2000, des scientifiques du Pôle de recherche national sur les matériaux aux nouvelles propriétés électroniques (MaNEP) ont réussi à détourner la fonction de base de cet appareil pour que, de microscope, il devienne graveur de métal et même sertisseur. En modifiant les paramètres électroniques (tension, courant, etc.) du microscope à effet tunnel tout en conservant sa précision, ils sont parvenus à faire en sorte que l’interaction (toujours sans contact) entre la pointe et la surface puisse faire fondre un métal et le moduler à l’échelle microscopique. Le dispositif peut ainsi creuser un trou, un sillon ou une petite surface dans le substrat métallique avec une précision incomparable – plus grande qu’avec un laser.
Le système a ensuite été perfectionné en baignant le dispositif pointe-surface dans un gel comportant un mélange de nanoparticules de différents métaux. La décharge électrique de la pointe, en plus de graver la surface, fait ainsi fondre la poudre métallique en suspension qui se dépose alors sous forme d’alliage. Il peut s’agir d’un alliage noble pour des applications dans l’horlogerie (décoration, poinçon de certification…) ou d’un matériau aux propriétés bactéricides.

 

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