Retour sur les événements

Tenir parole Responsabilités des métiers de la transmission / Table de dialogue Mireille Cifali, Université de Genève / 30.11.2021

 

Retour sur la table de dialogue avec la Prof Mireille Cifali (Université de Genève), du 30 novembre 2021

Par Maryvonne Charmillot, équipe TEF, RIFT, Université de Genève

Mardi 30Tenir Parole MCifali.JPG novembre 2021, le laboratoire RIFT, en collaboration avec le laboratoire LIFE (Laboratoire de recherche innovation-formation-éducation) a eu le privilège d’accueillir Mireille Cifali dans le cadre des conférences publiques pour la présentation de son dernier ouvrage, Tenir parole. Responsabilité des métiers de la transmission. Toujours accueillie chaleureusement en tant qu’ancienne coordinatrice du laboratoire, sa présence a fait suite à son intervention dans les conférences RIFT le 4 décembre 2018, où elle présentait son livre précédent S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation. Et suite également à l’entrevue organisée par le laboratoire LIFE le 7 mars 2019, dans laquelle Mireille Cifali est intervenue sur le thème Enseigner, éduquer, accompagner : la bienveillance suffit-elle ?

Reporté à plusieurs reprises en raison des restrictions liées à la pandémie du Covid-19, l’accueil réservé à Mireille Cifali a été d’autant plus heureux et émouvant. Mireille Cifali n’ayant pas souhaité une intervention frontale classique, les membres du RIFT et du laboratoire LIFE ont organisé une table de dialogue. Quatre collaboratrices travaillant dans les métiers de la formation avaient été invitées à lire ou relire Tenir parole. Responsabilité des métiers de la transmission et à entrer en discussion avec Mireille Cifali.

Le public, nombreux, fidèle et attentif comme à chaque venue de Mireille Cifali dans les conférences publiques du RIFT, a ainsi eu le privilège de voir réunies autour de Mireille Cifali, Nathalie Muller Mirza, professeure en sciences de l’éducation et coordinatrice du RIFT, Nilima Changkakoti, chargée de cours en sciences de l’éducation et qui faisait l’une de ses dernières interventions avant son retrait de la vie académique, Héloïse Rougemont, chargée d’enseignement à la HEP Vaud et ancienne membre du RIFT, et Nuria Nicollet Aebischer, directrice des établissements primaires des Allobroges et de Hugo de Senger à Genève. Précisons que l’événement avait lieu en mode hybride et qu’une grande partie du public était à distance. Les contraintes sanitaires encore en vigueur fin novembre 2021 n’ont pas rendu tout le public aux écrans et la salle était heureusement bien garnie. Mireille Cifali tenait au présentiel, de même que les organisatrices et organisateurs de l’événement. Car parler du lien avec Mireille Cifali, c’est avant tour parler de présence, de regard, d’écoute, de proximité, d’attention et d’émotions.

Andreea Capitanescu a introduit la table de dialogue rappelant les travaux majeurs de Mireille Cifali et en lui rendant hommage par une touche personnelle dans laquelle les personnes qui ont suivi ses cours et entendu ses conférences ont pu se retrouver : « En tant qu’ancienne étudiante de Mireille Cifali, je peux avancer sans hésitation que ce qui détonnait fortement dans ses enseignements il y a presque trente ans, c’était son intérêt sans fin, clinique, singulier des situations de travail et des professionnels qui les incarnaient. Ces derniers étaient toujours considérés comme des réels sujets avec des intentions, des désirs, des valeurs.  Mireille Cifali ne donnait pas des cours ex-cathedra sur Sigmund Freud ou d’autres chercheurs ayant continué le développement d’une approche psychanalytique pour la chose éducative. Elle mettait au centre de l’étude des étudiants – les situations de travail, incarnées, vécues, expérimentées voire éprouvées par les praticiens de l’éducation. Elle mettait au centre de l’analyse les affects, les émotions au sein de la complexité du travail (…). Le récit a une force, elle l’avait si bien compris. Par le récit, on rentrait à la fois dans l’histoire de l’autre mais également dans sa propre histoire. Elle travaillait à analyser inlassablement les dilemmes, les ressorts, les impasses, les difficultés, les espoirs, les espérances au sein de ces milliers ! de situations éducatives, chacune avec ses caractéristiques et toutes dans leurs singularités. Elle ne faisait jamais une théorie sur Freud en extériorité, etc…elle tissait à partir des situations de travail du sens avec les théories psychanalytiques. Elle était un vrai maitre dans le détour pédagogique par la force et la richesse de la littérature. Elle re-donnait envie de tout relire, avec son empreinte, avec son regard posé sur les mots, sur les maux. Elle avait lu beaucoup pour que chacun des étudiants lise à son tour beaucoup ! ».

Mireille Cifali a ensuite pris la parole pour partager les idées forces de son ouvrage Tenir parole. Responsabilité des métiers de la transmission, en rappelant qu’il constitue le troisième opus d’une trilogie. En 2019 paraissait Préserver un lien. Ethique des métiers de la relation, et en 2018, S’engager pour accompagner, Valeurs des métiers de la formation.

Dans cet ouvrage, Mireille Cifali rappelle que nous sommes des êtres de langage et que dans les métiers de la transmission, une parole fiable est essentielle au dialogue. Elle a alors explicité ce que signifie « tenir parole », quelles sont les paroles qui assurent une position d’autorité, et non pas de pouvoir. Dans cette perspective, un regard tendre peut se construire jusque dans les rencontres difficiles, pour la dignité de chacun. Elle a mis en mots la responsabilité qui nous incombe face au discours de l’efficacité éducative et a invité chacune et chacun, dans nos activités éducatives et de soin, à sauvegarder l’expérience et le temps d’apprendre.

« Tenir une conférence est une chose très particulière depuis que je suis partie de l’enseignement, a-t-elle confié. Je crois qu’il n’est pas de semaine où dans mes rêves je ne tienne une conférence, toujours avec des ratés, toujours avec des choses que j’ai oubliées, toujours avec des actes manqués… Je vous remercie donc de me guérir enfin de mes rêves (on verra cela à la fin…) ! M’avoir poussée à parler de ce dernier livre paru m’a permis de reprendre les gestes que j’avais quand je préparais mes cours, à savoir découvrir des ouvrages[1], prendre des notes, écrire, essayer de comprendre ce que les auteurs bouleversent dans ma pensée ».

Mireille Cifali a rappelé qu’il n’y avait pas de parole sans l’autre et que lorsque nous nous adressons à l’autre en tant que formateur ou formatrice, il ne s’agit pas d’avoir raison mais de dire le mot juste. « Notre parole doit être plus dans le juste que dans le fiable, c’est-à-dire une parole qui repère, une parole qui ne promet pas, une parole qui ne dit pas en l’air, une parole qui est présence, une parole qui s’adresse, une parole qui dit je et qui s’engage ».

Suite à sa présentation, un espace d’échanges s’est construit à partir des prises de paroles et des questions adressées à Mireille Cifali par les quatre « dialogueuses », Nathalie Muller Mirza, Héloïse Rougemont, Nilima Changkakoti et Nuria Nicollet Aebischer. Il n’est pas possible dans le cadre ce compte-rendu de relever toute la richesse des questions. Les quatre intervenantes ont souligné dans leur introduction combien leur lecture avait été inspirante et elles ont chacune remercier chaleureusement Mireille Cifali pour ce qu’elle leur avait apporté durant leur parcours, et ce à quoi elle avait contribué tout au long de sa carrière, à savoir penser et panser les liens éducatifs. Voici quelques-unes des questions qui ont structuré le dialogue :

- Pour être dans une co-construction avec les partenaires de formation, étudiants-étudiantes, enseignantes-enseignants, et non dans un savoir pour/sur l’autre, comment tenir la « place symbolique » que vous évoquez, que faire des rapports hiérarchiques, des enjeux, voire de l’inconscient institutionnels ? Avez-vous des expériences à partager en lien avec cette problématique ?

- Vous parlez des délicatesses de la relation et du dialogue pour nos métiers. Vous parlez de l’importance de « l’intelligence de la relation à l’autre ». Vous évoquez l’institution scolaire. Qu’en est-il à vos yeux de l’institution universitaire et son « soin » (ou non...) à la relation ? Auriez-vous des pistes, des points de vigilance, des expériences à partager pour protéger, préserver, alimenter cette attention ?

- Une série de questions posées par des étudiantes et étudiants de la HEP-Vaud qui avaient travaillé des extraits de l’ouvrage : que faire du sentiment de porter la structure institutionnelle plutôt que d’être porté par la structure, autrement dit, comment rester un individu dans une société à laquelle on ne s’identifie pas ? Comment ne pas se sentir affecté dans notre identité par la détresse des jeunes, autrement dit comment conserver une posture calme et posée face à la violence notamment ?

Avec son attention habituelle, Mireille Cifali a tissé des liens entre les thèmes abordés par les dialogueuses et appuyé ses réponses en partageant avec le public des extraits de quelques-uns de ces coups de cœur. Comme à chaque fois, le public a eu le privilège de repartir avec des formulations ancrées, incarnées, des formulations que seule Mireille Cifali sait faire apparaître et parce que ces formulations donnent des frissons quand on les entend, elles ne s’oublient pas. « Quand on a beaucoup de savoirs comme certains scientifiques et que l’on s’adresse à quelqu’un qui est en vulnérabilité, c’est tout un travail dans la parole pour s’engager comme un je et non pas seulement comme un scientifique qui sait par avance et qui met l’autre dans une position où il ne peut plus que se taire et obéir ». Ou encore : « C’est parce que je peux t’écouter dans ta différence, parce que je suis marqué, affecté par ta différence, émue par ta différence, parce que ta différence interroge ma propre pensée, que nous allons pouvoir échanger et parler ».

Merci infiniment Mireille d’avoir accepté notre invitation dans cette période encore éprouvée par le Covid. Quel immense privilège pour les personnes qui t’écoutent, celles qui te connaissent comme celles qui rencontrent ta parole pour la première fois. Merci, à chaque fois, de reprendre tes questions, tes réflexions, de les nourrir et de partager tes découvertes. Ce travail continu rend ta parole plus vivante encore et nous invite, à l’instar de Boileau, à toujours garder notre pensée en mouvement.

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez".

T’avons-nous guéri de tes rêves ? Je le souhaite bien sûr ! Mais si ce n’est pas le cas, reviens, nous serons toujours là pour t’accueillir !

 

Références :

Nancy, Jean-Luc (2021). La vérité du mensonge : petite conférence. Bayard.

De Sutter, Laurent (2021). Pour en finir avec soi-même. PUF.

Revault d’Allones, Myriam (2018). La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun. Seuil.

Rosa, Hartmut (2020). Rendre le monde indispensable. La Découverte.

Habib, Stéphane (2020). Faire avec l’impossible. Pour une relance du politique. Pocket Agora.


[1] Voir les références à la fin de ce compte-rendu.

L'événement... Table de dialogue avec la Professeure Mireille Cifali

En discussion avec :
Nilima Changkakoti, Nathalie Muller Mirza, Nuria Nicolet-Aebischer et Héloïse Rougemont

Résumé de l'ouvrage en discussion

Nous sommes des êtres de langage. Dans les métiers de la transmission, Mireille Cifali nous rappelle l’essentialité d’une parole fiable, afin que le dialogue annoncé ne soit pas un vain mot. Dialogue engagé entre les professionnels qui souhaitent collaborer, inclure. Dialogue rompu quand on en vient à exclure. Avec parfois un monologue. Un silence laissant seul. Un jugement qui enferme.

Avec nous, Mireille Cifali aborde l’art de tenir parole. Elle évoque la toujours présente violence vécue qui, par les mots, se transforme. Elle nomme les attitudes et les paroles qui assurent une position d’autorité, et non plus de pouvoir. Ainsi un regard tendre peut se construire jusque dans les rencontres difficiles, pour la dignité de chacun.

Dès lors, face au discours de l’efficacité s'inscrit la responsabilité qualitative de nos gestes adressés. Face à un futur avec ses rêves de scientificité, sa technologie, s’avancent nos craintes et nos soins. Afin de sauvegarder l’expérience et le temps d’apprendre.

 

La conférencière

Professeure honoraire de l’Université de Genève, Mireille Cifali a étudié les rapports de Freud à l’éducation, notamment dans son livre Freud pédagogue ? (InterEditions, 1982).  Ses recherches menées parallèlement à ses activités d’enseignante, de formatrice et de conférencière l’ont amenée à publier, en collaboration avec Jeanne Moll, Pédagogie et psychanalyse (Dunod,1985).  Elle est l’auteur du livre toujours actuel, Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique (PUF, 1994). 

On trouve de nombreux articles d’elle dans différentes revues et des ouvrages qu’elle a dirigés. Avec Alain André elle a publié Écrire l’expérience : vers la reconnaissance des pratiques professionnelles (PUF, 2012) ; avec Florence Giust-Desprairies et Thomas Périlleux, Processus de création et processus cliniques (PUF, 2015).

Ses trois derniers ouvrages constituent une trilogie : S’engager pour accompagner, Valeurs des métiers de la formation (2018) ; Préserver un lien, Éthique des métiers de la relation (2019) ; Tenir parole, Responsabilités des métiers de la formation (2020), tous trois publiés aux PUF.

 

15 juin 2022

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