7 mai 2020

 

Lu dans la presse

Sociologues et géographe de l’UNIGE analysent dans la presse l’impact de la crise sanitaire sur la langue, l’imaginaire collectif et les modes d’alimentation

 

Le sociologue Patrick Amey, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des sciences de la société, revient, dans un article de la Tribune de Genève du 2 mai, sur la kyrielle de mots nouveaux et d’expressions inédites qui émaillent nos conversations depuis l’arrivée du Covid-19. «Le langage de cette pandémie exerce une fonction de «reliance», il nous donne un sentiment d’appartenance à une large communauté: nous parlons tous la même langue, c’est la tour de Babel», s’exclame le spécialiste. La grande majorité des mots du parler coronavirus est empruntée au vocabulaire médical. Chacun s’est familiarisé avec les courbes exponentielles, les malades asymptomatiques, les populations à risque, les solutions hydroalcooliques ou la chloroquine. Pour Patrick Amey, recourir à ces termes précis traduit, comme tout langage, un rapport au monde: «On se positionne par rapport au risque et à sa gestion. En maîtrisant un vocabulaire spécialisé, on donne de soi l’image de quelqu’un qui s’est renseigné, qui sait, qui se protège et qui ne représente pas un danger pour autrui. Quelqu’un qui prend ses responsabilités.» Quant à parler de néolangage, le sociologue qualifie ces intrusions «d’interférences lexicales» et rappelle «qu’entre les années 1960 et 1980, on assistait au même phénomène avec le vocabulaire de la psychanalyse. Les émissions de télévision et la presse, dans un désir de vulgarisation, employaient des mots qui, à force d’usage, sont restés.» Le sociologue a tiré des conclusions similaires après avoir passé au crible les débats sur le nucléaire dans les années 1990. M. et Mme Tout-le-Monde assimilent un vocabulaire savant et deviennent des «profanes autodidactes», comme il les nomme.

 

Dans son article «Tous dans le même bateau», le Migros Magazine du 4 mai explore l’identité collective mondiale qui se serait développée avec l’étendue territoriale du Covid-19. Professeur en géographie politique et culturelle et en aménagement du territoire, Bernard Debarbieux apporte quelques précisions: «Je ne parlerais pas d’identité collective mais plutôt d’un sentiment d’appartenance étendu à l’humanité tout entière.» L’émergence de sentiments globaux liants est particulièrement rare. «Durant la Seconde Guerre mondiale, on a pu observer des identifications à des nations, voire à des alliances, mais rien à plus grande échelle, poursuit le chercheur. Cela s’explique notamment par une communication mondiale alors lente et peu propice à la propagation des idées. Pour qu’un sentiment d’appartenance international se développe, il faut un phénomène mondial bien sûr, mais aussi une information mondialisée et instantanée.» Reste à savoir si cette perception qu’ont les Terrien-nes de leur planète va perdurer une fois un vaccin trouvé. «La peur, la douleur ou le drame se partagent plus facilement que les émotions positives, reconnaît Bernard Debarbieux. Il se pourrait donc que le sentiment d’appartenance se délite peu à peu une fois les beaux jours revenus.»

 

Spécialiste de la consommation dans une perspective de durabilité, la professeure Marlyne Sahakian (Département de sociologie) s’exprimait dans la version en ligne du Temps le 30 avril sur la place prise par l’alimentation pendant le confinement. «L’étude que nous avons réalisée en Suisse romande avant la pandémie montre bien que préparer les repas peut être une corvée pour les familles avec de jeunes enfants, constate la chercheuse. Préparer tous les repas tous les jours n’a rien à voir avec faire la cuisine le samedi soir. À Genève, grâce au système parascolaire, les parents savent que les enfants ont mangé un repas équilibré le midi et peuvent moins soigner le repas du soir. Mais aujourd’hui, ils doivent tout faire, s’occuper des enfants, faire les courses, cuisiner… » D'un autre côté, le confinement a rendu possibles des expérimentations habituellement inenvisageables. «L’alimentation est un lieu de prescriptions qu’on a rarement le temps d’expérimenter, précise Marlyne Sahakian. Cuisinier est une compétence. Manger moins de viande, plus bio, plus local, cela s’apprend mais cela demande du temps.» Un temps libéré par le confinement. «Des familles tentent le mois végétarien, d’autres essaient de nouveaux modes d’approvisionnement et de stockage, d’autant qu’il est devenu désagréable d’aller dans son supermarché habituel», constate la chercheuse.