7 mai 2020
La communication sociale à l'épreuve de la visioconférence
Avec la crise du Covid-19, l’usage des outils de visioconférence a littéralement explosé. Zoom pour les cours à distance, Skype pour les réunions professionnelles, HouseParty pour les apéros entre ami-es… Mais les impacts de ces nouvelles technologies sur la communication sociale et sur notre cerveau ne sont pas anodins. Entretien avec Nicolas Burra, maître-assistant au sein du groupe de recherche «Cognition visuelle» de la Section de psychologie et spécaliste de la perception du regard
eJournal: L'utilisation de la visioconférence est-elle suffisante pour bien communiquer?
Nicolas Burra: Si un contact réel est toujours meilleur, la visioconférence est, dans la situation actuelle, la manière la plus satisfaisante de communiquer. Cette technologie nous permet d'entrer en interaction visuelle n'importe où et n'importe quand, avec une qualité généralement acceptable. L'interaction est beaucoup plus dynamique qu'au téléphone, car on est à la fois observateur ou observatrice et acteur ou actrice de la communication au niveau visuel. On peut regarder les expressions du visage de l'autre et interagir avec ses yeux. Mais ces échanges ont quand même quelques défauts.
Quels sont-ils?
Un problème commun à tout échange est le fait de se voir soi-même à l'écran. La perception de notre propre visage – chose à laquelle nous sommes peu habitués – distrait notre attention et c'est encore plus compliqué pour les personnalités introverties. De plus, cette perception de soi peut être altérée en fonction des paramètres vidéo de l'outil. Je pense notamment à l'option miroir. Quand celle-ci n'est pas activée, on se voit comme les autres nous perçoivent. Cela peut créer une gêne, car si l'on est expert-e de son visage, c'est uniquement au travers de son reflet. Un autre déséquilibre vient du fait que, dans une interaction normale, les personnes établissent d'abord le contact en se regardant dans les yeux. Avec la visioconférence, cette rencontre du regard n'est plus possible: il faut fixer la caméra pour que son interlocuteur ou interlocutrice ait l'impression d'être regardé dans les yeux, ce qui a pour conséquence de ne plus maintenir le contact visuel avec lui. À cela se rajoute un certain inconfort dû à la proximité du visage de son interlocuteur ou de son interlocutrice avec le nôtre.
Les communications de groupe renforcent-elles ces difficultés?
Oui, car les indices sociaux que l'on donne généralement avec les yeux, la tête ou le buste – ces détails qui montrent aux autres où est notre attention ou à qui est-ce que l'on parle – sont moins faciles à percevoir. Les visages des participant-es sont notamment disposés aléatoirement sur l'écran, ce qui a pour conséquence que les mouvements des yeux perdent leur signification. De plus, selon sa configuration, l'outil informatique affiche en grand la personne qui prend la parole. Cela crée une communication forcée avec elle alors que l'on pourrait discuter avec son voisin ou sa voisine en situation réelle. Enfin, se retrouver en groupe peut être anxiogène pour les personnes timides. Dans la réalité, ces dernières peuvent se cacher au fond de la salle en attendant que la discussion se termine; là, la caméra se porte sur elles dès qu'elles émettent un bruit.
Certaines personnes se plaignent de fatigue ou ressentent de l'insatisfaction suite à ces échanges. Comment l'expliquer?
En visioconférence, les perceptions sont proches du réel mais ne sont pas exactement identiques. De nombreux détails rappellent que l'interaction est artificielle. Cela crée une charge pour le cerveau, car celui-ci doit continuellement mettre en correspondance ce qu'il perçoit avec ce qu'il connaît du réel. D'autres facteurs de stress entrent également en ligne de compte, comme l'aspect contextuel associé aujourd'hui aux visioconférences, qui nous rappellent la crise. Concernant l'insatisfaction générée par de tels échanges, il faut savoir que nous avons l'habitude, dans une interaction sociale réelle, de recevoir des retours positifs via le regard ou les contacts physiques. Ces récompenses sociales font défaut dans l'interaction en ligne.
Quelles sont vos recommandations pour utiliser au mieux ces outils?
Cela dépend du contexte. Dans le cadre de discussions privées, entre ami-es ou en famille, le contact visuel fait toujours plaisir, même s'il présente certains défauts. Dans le cadre professionnel ou académique par contre, il est préférable de réduire la charge du cerveau en supprimant la caméra si le contact visuel n’est pas indispensable. Dans l'idéal, il faudrait aussi trouver un lieu dans son appartement, un pour les appel privés et un pour les appels professionnels, qui soit adapté, avec une belle lumière par exemple, où l'on a une vision agréable de soi-même.
Les outils de visioconférences peuvent-ils être améliorés?
Des innovations permettent peu à peu de pallier les limites inhérentes à la technologie actuelle. De nouveaux logiciels pourront par exemple replacer les yeux de chaque participant-e au bon endroit, en décalant légèrement les visages et les pupilles de chacun, afin que les yeux que vous voyez vous regardent. Une solution existe déjà avec une caméra placée au milieu de l'écran, mais cela coûte très cher et ce n'est pas très ergonomique. Il s'agira aussi de contrôler la distance sociale en normalisant la taille des visages présentés afin qu'ils ne soient ni trop proches, ni trop éloignés par rapport à une distance sociale usuelle. L'utilisation de la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée pourrait, par ailleurs, améliorer le sentiment d'une situation réelle, en conservant les interactions du corps et du regard ainsi que la distance sociale.