1er décembre 2022 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

Jean Ziegler face au drame de Lesbos

Jeudi 8 décembre à 18h30, le sociologue Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation, interviendra dans le cadre d’un cours sur la migration forcée. À cette occasion, il évoquera les conditions de détention des réfugié-es en mer Égée, qu’il raconte dans son livre «Lesbos, la honte de l’Europe».


 

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Jean Ziegler. Photo: S. Willnow / AFP

 

Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation, aujourd’hui conseiller du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, sera l’invité de l’UNIGE le jeudi 8 décembre. Le sociologue interviendra dans le cadre du cours «Regard interdisciplinaire sur la migration forcée» lors d’un événement ouvert au public intitulé «Le crime de l'Europe: sa guerre contre les migrants forcés – Où est l'espoir?» (Uni Mail, 18h30, salle MR380). À cette occasion, le sociologue débattra avec des étudiant-es et des personnes issues de la migration forcée à Genève. Il évoquera notamment les conditions de détention des réfugié-es en mer Égée, qu’il découvre en mai 2019, lorsque, en mission pour l’ONU, il visite le camp de Moria sur l’île de Lesbos en Grèce.

 

Ce camp de réfugié-es, le plus grand sur sol européen, est l’un des cinq hotspots de la mer Égée, comme on appelle ces points d’enregistrement de l’Union européenne qui visent à améliorer le procédé d’identification et d’enregistrement des demandeurs/euses d’asile. Dans une ancienne caserne militaire conçue pour loger 3000 soldats, ce sont plus de 18'000 hommes, femmes et enfants qui s’entassent. Des murs et des barbelés délimitent l’enceinte du camp gardé par la police armée. Toute personne qui y entre doit présenter un permis délivré par le Ministère de la migration à Athènes. Les journalistes n’y sont plus autorisé-es depuis mars 2016.

«Aller à Moria, c’est s’exposer à un choc psychologique», confie Jean Ziegler dans son livre Lesbos, la honte de l’Europe, publié aux éditions du Seuil en janvier 2020. Il y décrit des conditions de vie épouvantables (promiscuité extrême, rations alimentaires insuffisantes voire avariées, mauvaises conditions d’hygiène, manque d’eau, de soins et d’éducation…) et rapporte que les délais d’attente pour se faire enregistrer, qui sont extrêmement longs, causent une grande souffrance psychologique. Aucune amélioration n’est à signaler dans le nouveau camp de Kara Tepe construit en hâte sur un ancien terrain de l’armée au lendemain de l’incendie qui a ravagé le camp de Moria en septembre 2020.

Jusqu'à 1000 euros la traversée
Lors de sa visite à Lesbos, Jean Ziegler relève que, parmi les 58 nationalités représentées – Syrie, Afghanistan, Irak, Iran et Soudan en tête –, une majorité de personnes sont issues de la classe moyenne (enseignant-es, commerçant-es, ancien-nes fonctionnaires...). C’est qu’il faut de l’argent pour fuir son pays et arriver jusque-là. À titre d’exemple, la traversée entre la Turquie et l’île grecque coûte entre 500 et 1000 euros par personne, alors que le ferry touristique réalise ce trajet d’une heure et demie contre 35 euros.

Parmi les risques que courent les réfugié-es à bord de leur embarcation de fortune, Jean Ziegler dénonce les push-back, ces opérations d’interception violentes pratiquées par les garde-côtes turcs et grecs, ainsi que par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), afin de rejeter les bateaux dans les eaux territoriales turques et d’empêcher les réfugié-es de déposer une demande d’asile sur territoire européen. Jean Ziegler rappelle que ces opérations brutales sont contraires au droit international. L’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme est en effet clair à ce sujet: «Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile d’un autre pays.» La Convention de l’ONU relative au statut de réfugié-e, signée par tous les membres de l’UE, ne dit pas autre chose dans son article 33 qui interdit l’expulsion et le refoulement de réfugié-es.

Commission européenne coupable
Pour Jean Ziegler, la Commission européenne, qui finance les hotspots de la mer Égée à hauteur de millions d’euros versés au gouvernement grec, accepte les conditions d’accueil abominables qui y règnent et rend possible le refoulement violent en mer par son agence Frontex, doit être tenue pour responsable de crime contre l’humanité. «Bruxelles cherche à créer des conditions d’accueil telles que les réfugié-es renoncent à tenter de rejoindre le sol européen, s’indigne-t-il. Cette stratégie est détestable, et totalement inefficace. Quand vous êtes bombardé-e en Syrie, persécuté-e en Iran ou affamé-e en Afghanistan, vous fuyez, quelles que soient les nouvelles qui parviennent de Lesbos.»

Alors que des budgets colossaux sont dépensés pour sécuriser les frontières et repousser les migrant-es, notamment au moyen de technologies de pointe (drones ultra-performants, satellites, radars au sol, scanners de camions, appareils à déclenchement automatique de tirs de mitrailleuses…) et que la Suisse a décidé d’augmenter sa contribution au programme Frontex de 14 à 62 millions de francs, Jean Ziegler dénonce une complicité silencieuse, indigne et inacceptable. «Il n’y a pas d’impuissance en démocratie, défend-il. Il faut se battre pour que la Suisse sorte de Frontex et rétablisse le droit d’asile.»

 

LE CRIME DE L'EUROPE: SA GUERRE CONTRE LES MIGRANTS FORCÉS – OÙ EST L’ESPOIR?

Avec la participation de Jean Ziegler, professeur honoraire de l'UNIGE et ancien rapporteur spécial des Nations unies

Jeudi 8 décembre | 18h30 | Uni Mail, salle MR380
Uni Mail, 40 bd du Pont d'Arve, 1205 Genève


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