Pour rapatrier la collection à Genève, 600 cartons ont été nécessaires, dont une partie sert aujourd’hui de supports de présentation au matériel de l’exposition. Ils illustrent de manière physique et métaphorique ce qui attend les équipes du CMCSS et de la Bibliothèque de l’UNIGE: il s’agit maintenant de défaire les cartons. Et de tenter de répondre aux questions qui surgissent: un manuel médical en sexologie et une revue pornographique ont-ils des légitimités comparables pour éclairer les connaissances sur le sexuel? Quelle place faut-il donner à ce domaine au sein d’une bibliothèque universitaire et comment le cataloguer (lire ci-dessous)?

Présentant une sélection des 1600 ouvrages catalogués en premier lieu, l’exposition Des livres indisciplinés montre comment les discours scientifiques et la culture populaire sur le sexuel se sont côtoyés et entremêlés. «Nous n'avons volontairement pas introduit de hiérarchie entre les documents exposés, explique Ferdinando Miranda, directeur exécutif du CMCSS. Pour Michel Froidevaux, tout ce qui était lié au sexuel et à l’érotisme était digne d’intérêt et de même valeur. Nous avons souhaité rester fidèles aux sentiments de liberté et d’anarchie qui se dégagent de sa collection.»

Littérature éphémère
Cette indiscipline dans la démarche du collectionneur a permis de conserver des documents indépendamment de leur valeur scientifique, esthétique ou commerciale. C’est ainsi qu’ont été rassemblés aussi bien des traités médicaux du XIX^e siècle que des «classiques» de la littérature licencieuse et libertine, des collections complètes de Playboy, en passant par les dictionnaires. «Michel Froidevaux a récolté de nombreux imprimés voués à être éphémères, comme les romans de gare érotiques, commente Camille Yassine, bibliothécaire spécialiste en sciences des sexualités. Ces livres achetés en gare étaient imprimés sur du papier de mauvaise qualité, ils étaient destinés à être lus puis à être jetés. Bien qu’éphémère, cette littérature, très prisée, n’en a pas moins eu un fort impact sur les mentalités, car elle véhicule quantité de normes et de stéréotypes.»

Michel Froidevaux, d’origine jurassienne, est né à Lausanne où il  fonde, dans les années 1980, la Galerie HumuS et créé la Fondation F.I.N.A.L.E, se définissant comme un lieu d’archivage de l’érotisme. Pour en savoir plus sur le collectionneur. Photo: L. Kloos.

L’exposition aborde plusieurs thématiques comme la médecine, l’anatomie, la technicité du corps, l’art, les maladies vénériennes, les représentations symboliques, les révolutions sexuelles, la famille et le couple. La diversité de la collection se retrouve également dans la sélection d’ouvrages exposés, parmi lesquels on trouve pêle-mêle un manuel pratique pour des relations sexuelles réussies, une réédition des Ragionamenti, œuvre du XVI^e qui fonde la littérature pornographique, un calendrier de photos érotiques de pénis, ou encore le Spartacus de 1978, un guide de voyage pour trouver des lieux dits «homosexuels». «Nous sommes conscient-es que certains ouvrages peuvent choquer, commente Ferdinando Miranda. Au regard de l’évolution des sensibilités et des transformations récentes des études sur les sexualités, ces documents peuvent en effet témoigner de conceptions du sexuel qui sont aujourd’hui considérées comme limitantes et stéréotypées, porteuses de propos sexistes, validistes, homophobes ou transphobes. Mais il ne s’agit pas de provoquer. Nous souhaitons montrer ce qui est le signe d’une époque, sur laquelle nous invitons à porter une réflexion critique et à conduire des recherches en sociologie, en histoire de la médecine ou des représentations.»