Journal n°103

«La paix est le but de toute guerre»

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La paix est-elle un concept aussi universel qu’il n’y paraît? Est-elle immuable dans l’histoire de l’humanité ou son acception fluctue-t-elle au fil du temps? Dans le cadre des Rencontres de Genève, des historiens proposent au grand public une relecture de ce thème à travers l’histoire religieuse de la Chine, du Japon, de Jérusalem et de la Grèce antique. Philippe Borgeaud, professeur honoraire à l’Unité d’histoire des religions, est l’initiateur et le modérateur de cette table ronde placée sous le thème de «La paix des autres». Entretien.

Quelles raisons vous ont amené à mettre en lumière la thématique de la paix en prenant appui sur des traditions historiques si différentes?

Philippe Borgeaud: Nous avions pour ambition de privilégier un regard transversal sur cette thématique. Ce qui est apparu d’emblée, c’est que le vocabulaire de la «guerre» et de la «paix» posait déjà des obstacles liés au sens que ces mots ont acquis dans les civilisations que nous passerons en revue lors de la table ronde. Nous souhaitions partager avec le public le fait que la paix n’est peut-être pas une notion si évidente qu’elle ne le paraît aujourd’hui, dans notre société occidentale.

Vous mettrez en avant, lors de cette table ronde, un pan relativement méconnu de l’histoire chinoise. Pourquoi ce choix?

En fin sinologue, Vincent Gossaert montrera comment l’utopie de la «grande paix» (taiping) comme forme parfaite de la société a joué un rôle majeur depuis au moins le début du XIXe siècle en Chine; elle est étroitement liée à la conception de la guerre comme une des formes de punition divine infligée à une humanité décadente. Affaiblie par le résultat de la guerre de l’opium contre les Anglais, la Chine se trouve tiraillée entre l’acceptation de la domination matérielle, scientifique et spirituelle des vainqueurs, avec une pensée occidentale qui pénètre en profondeur la société chinoise, et une volonté d’y opposer son système de valeurs traditionnelles, fortement imprégné d’une dimension religieuse et d’une vision apocalyptique. Ce conflit interroge le rôle de la religion dans un conflit qui survient à une époque tout à fait récente de l’histoire contemporaine.

Le Japon est un autre exemple de l’ambivalence entre la guerre et la paix dans l’idéal nippon de la religion et de la société...

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon tient un discours continu sur la nécessité de préserver et de célébrer la paix. La nation ne dispose plus d’armée, vit sur le traumatisme atomique d’Hiroshima et de Nagasaki. On oublie que cette nation célébrait, peu de temps auparavant, l’héroïsme des kamikazes durant la guerre et que les mentalités restent fortement influencées par les idéaux des guerriers samouraïs. Le poids des traditions est, là aussi, ancré dans la religion, surtout le shinto. En cela, le Japon illustre bien le tiraillement entre les idéaux de guerre et de paix qui agitent les sociétés modernes, comme le montrera l’historien François Macé.

Les civilisations antiques et médiévales ne portaient-elles pas en elles-mêmes cette ambivalence, déjà?

C’est vrai. Chez Homère, dans l’Iliade en particulier, guerre et paix sont indissociables, mais la paix est présentée comme un idéal. Chez Héraclite, la paix sans guerre n’existe pas. Le rêve d’une paix universelle serait aux antipodes de la pensée. Plus tard, chez saint Augustin, on se prend à imaginer une paix future, sans guerre. Toutefois, le christianisme va évoluer au fil du temps et va générer d’autres courants de pensée, influençant des auteurs comme Nietzsche. Ce que l’on constate, c’est que la guerre et la paix sont des notions qui sont intrinsèquement liées à un système de pensée et à des références sociales, culturelles et religieuses, qui elles-mêmes sont des productions d’une société donnée.

La paix, tout comme la guerre, n’est-elle pas tout simplement indissociable de l’histoire de l’humanité?

Je répondrai en faisant appel à Aristophane. Dans sa comédie La Paix, l’auteur nous montre des Grecs en pleine Guerre du Péloponnèse. Réfugiés derrière les murs de la cité, ils sont obnubilés par la paix, seule finalité essentielle au conflit armé. La Paix est alors une déesse, Eiréné, au même titre que la justice, Diké. Au-delà de la divinité, la paix est un idéal absolu, le temps de l’amour, du labourage, du bonheur. Je remarque que l’histoire tragique des XIXe et XXe siècles a remis la paix au centre des préoccupations humaines, comme en témoigne l’avènement des grands pacifistes: Jean Jaurès, Romain Rolland, Henri Dunant, Gandhi... L’histoire contemporaine nous montre que la paix reste un idéal certes fragile mais essentiel, promu par toutes les puissances modernes, même celles qui font la guerre.

| samedi 16 mai |

Table ronde «La Paix des autres».

12h30 | Uni Dufour

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