Journal n°104

Les sciences affectives scrutent les facteurs dictant nos décisions

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Pourquoi les individus n’agissent-ils pas tous rationnellement pour réduire leur empreinte énergétique? A l’UNIGE, un groupe de recherche analyse les mécanismes à l’œuvre dans nos prises de décisions

Il y a une question sur laquelle tout le monde devrait être d’accord. Face aux enjeux liés à la transition énergétique, chacun ne devrait-il pas faire un effort pour diminuer sa consommation? Cette logique, imparable, ne va pourtant pas de soi. «Objectivement, rationnellement, il est clair que les individus devraient réduire leur propre consommation d’énergie, notamment celle issue des sources d’énergie fossiles, pour le bien de la société et de l’environnement, note Tobias Brosch, professeur assistant à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE). Pourtant, on observe de très grandes différences entre les individus sur ce type de questions.»

C’est pour mettre au jour les mécanismes – psychologiques, neurobiologiques, émotionnels ou cognitifs – à l’œuvre dans la prise de décision individuelle en lien avec le développement durable que le chercheur vient de lancer, au sein de la FPSE, le «Consumer Decision and Sustainable Behavior Lab». Ce groupe de recherche apporte une pierre supplémentaire aux sciences du comportement déjà bien représentées à l’UNIGE, institution hôte du Pôle de recherche national en sciences affectives.

Favoriser les synergies

«La création de ce groupe de recherche est à la confluence de deux axes prioritaires pour l’Université, explique Tobias Brosch. Celui des sciences énergétiques en tant que telles, renforcées par l’arrivée l’année dernière de Martin Patel, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement, et celui des sciences du comportement, en particulier les sciences affectives. L’idée est aujourd’hui de favoriser des synergies et de comprendre comment les facteurs qui influencent la prise de décision peuvent servir à la réduction des dépenses énergétiques.»

Son équipe, financée par l’UNIGE et la Commission pour la technologie et l’innovation de la Confédération dans le cadre du Centre de compétences en recherche énergétique, étudie en particulier la manière dont les émotions, les processus affectifs et les valeurs personnelles poussent les individus à prendre des positions parfois peu rationnelles.

Biais cognitifs

«Ces facteurs peuvent être propres aux individus, poursuit le chercheur. Par exemple, certaines personnes sont régies par un système de valeurs les poussant davantage à des choix égoïstes. Mais il existe des biais qui sont partagés de manière plus générale. Ainsi, une récompense immédiate a souvent plus de valeur qu’une récompense différée pourtant plus importante. Entre recevoir 100 francs aujourd’hui ou 200 plus tard, une majorité préférera la première solution.»

D’autres biais, comme celui dit «du statu quo», expliquent pourquoi les individus sont peu enclins à changer de comportement.

Pour les scientifiques, il s’agit de comprendre comment les connaissances sur le fonctionnement de la psyché humaine peuvent être transposées dans la gouvernance des institutions politiques concernées par l’efficience énergétique. En sus des publications scientifiques, les chercheurs ont pour ambition de proposer des mesures concrètes qui pourront être appliquées par les pouvoirs publics en vue de participer à la réduction de la consommation énergétique.

Segmenter le public

Au cours d’études menées sur des groupes tests, les chercheurs ont observé que l’argumentaire purement environnemental n’était pas toujours le plus convaincant pour les consommateurs. «Les personnes avec une sensibilité électorale de gauche peuvent facilement être convaincues par l’utilité de favoriser les énergies renouvelables, explique Tobias Brosch. Celles plutôt conservatrices sont plus sensibles au fait que ces énergies renouvelables soient produites à proximité et profitent à l’économie locale. On peut atteindre le même objectif en segmentant le public-cible et en adaptant l’argumentaire aux sensibilités de groupes d’individus.»

L’apport des sciences comportementales indique que l’approche frontale, privilégiée par les campagnes de sensibilisation environnementale s’adressant directement à des individus isolés, n’est pas forcément la plus efficace. L’être humain étant plus influençable lorsqu’il est sollicité par une connaissance, un voisin ou son réseau d’amis, il est plus profitable de le convaincre par la bande. «Voir que sa facture d’électricité est plus élevée que celle de son voisin a parfois des effets spectaculaires sur le comportement des consommateurs les plus énergivores», conclut le scientifique.


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