Journal n°104

Le rôle des musées dans la lutte contre le trafic de biens culturels

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Le trafic de biens culturels concerne avant tout les collectionneurs et les musées, mais tout voyageur peut s’y trouver confronté. Le Musée d’ethnographie de Genève a récemment organisé un colloque sur le sujet

Juillet 2013, une affaire éclate en une de la presse helvétique: la justice turque vient d’arrêter le commandant de la police valaisanne. Elle l’accuse d’avoir dérobé un vestige patrimonial sur un site archéologique, délit passible de dix ans de prison. Il s’en défend, arguant n’avoir ramassé qu’un vulgaire caillou comme souvenir de vacances. Avocats et experts s’affrontent. Le procès débouche sur une peine de 15 jours de prison avec sursis.

Cette affaire doit certes sa résonance à la personnalité de l’accusé, alors en pleine campagne électorale. Mais elle montre bien à quel point n’importe qui peut se trouver confronté bien malgré lui à la problématique du trafic de biens culturels.

Le cadre légal

Bien que comptant parmi les principaux centres mondiaux du marché de l’art, la Suisse a ratifié en 2003 seulement la Convention de l’Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Elle a été mise en œuvre par la Loi sur le transfert international des biens culturels dont l’exécution revient depuis le 1er juin 2005 à l’Office fédéral de la culture (OFC). Le fait que le Mexique possède depuis 1821 une loi contre ce genre de trafic montre bien la dissymétrie de perception qu’il existe entre pays sources et destinataires.

Avec le soutien de l’OFC, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) a organisé le 29 avril un colloque intitulé «La lutte contre le trafic illicite du patrimoine culturel, restitution, préservation», auquel a notamment participé le professeur Marc-André Renold, titulaire de la chaire Unesco en droit international de la protection des bien culturels (lire encadré). Ce colloque faisait écho à l’exposition temporaire que le Musée a organisée sur les rois mochicas. En effet, celle-ci soulève indirectement des questions liées à ce trafic. Le colloque a réuni des intervenants de renom provenant de milieux très divers. De l’expert chez Christie’s à l’officier du renseignement d’Interpol, en passant par le spécialiste de l’Unesco, ils ont fourni au public un éclairage sur les enjeux mondiaux, passant des moyens de surveillance modernes des sites archéologiques à la responsabilité de la communauté internationale lors de pillages de biens culturels en situation de conflit.

Accords bilatéraux

Pour une institution comme le MEG, le trafic de biens culturels pose un problème à la fois légal et scientifique. L’aspect légal concerne évidemment l’acquisition de pièces pour les collections. Il s’agit pour le MEG de se conformer au droit des pays d’où proviennent les pièces ou aux accords bilatéraux que le Conseil fédéral a déjà conclus avec l’Italie, le Pérou, la Grèce, la Colombie, l’Egypte, Chypre et la Chine.

L’autre question est d’ordre scientifique: les objets pillés ne sont évidemment pas documentés et perdent ainsi toutes les informations quant à leurs relations avec d’autres pièces du même site. Pour Boris Wastiau, directeur du MEG, l‘exposition sur les rois mochica est une parfaite illustration du problème. «Le cœur de cette exposition est constitué d’objets provenant d’une fouille réalisée de manière scientifique et rigoureuse par une équipe d’archéologues péruviens et étatsuniens, explique le responsable du MEG. De par le travail de documentation, les objets sont reliés entre eux. On sait de quelles tombes ils proviennent et quels autres objets s’y trouvaient. Une autre partie des objets exposés proviennent des musées de Berlin et Stuttgart. Il s’agit de pièces très belles, mais nullement documentées. C’est malheureusement le cas pour la quasi-totalité des pièces archéologiques précolombiennes».