Journal n°110

VIH/sida: sociologie d’une épidémie

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Spécialiste du risque et de ses représentations, la professeure Claudine Burton-Jeangros (Département de sociologie, Faculté des sciences de la société) s’intéresse notamment aux nouvelles questions sociales posées par le VIH/sida, au travers de travaux de recherche sur les parcours de femmes séropositives. Entretien.

Quel est l’apport des sciences sociales dans l’histoire du VIH/sida?

Claudine Burton-Jeangros: Au début de l’épidémie, l’intérêt pour les sciences sociales a été très important: la maladie était mal connue, les connaissances médicales peu formalisées et, surtout, les traitements inexistants. La prévention était alors essentielle. En particulier, il a fallu documenter les pratiques sexuelles des populations pour pouvoir orienter les messages. Puis, au milieu des années 1990, avec les trithérapies, la maladie est devenue une affaire strictement médicale et a quasiment disparu du radar des sciences sociales. Aujourd’hui, le vieillissement de la population infectée pose de nouvelles questions sociales.

Lesquelles?

Jusqu’ici, les personnes contaminées mouraient relativement rapidement. Aujourd’hui, elles arrivent à la retraite, avec un traitement médical qui s’inscrit dans la durée. Quel est le vécu de ces personnes? Comment vieillit-on dans ces conditions? Je me suis intéressée à ce sujet à travers la thèse de ma doctorante Vanessa Fargnoli. Elle étudie les trajectoires des femmes infectées par le VIH, celles dont on ne parle jamais car elles n’appartiennent pas aux groupes à risques, ayant été infectées pour la plupart dans le cadre d’une relation hétérosexuelle. Ces personnes mènent en apparence une vie normale, mais les effets d’un traitement à vie sont encore mal connus. Par ailleurs, la maladie reste stigmatisée. Il est difficile de l’évoquer avec son entourage, qui s’interroge immédiatement sur les comportements à l’origine de l’infection.

Comment les êtres humains évaluent-ils les risques?

La perception du risque laisse une grande marge à l’interprétation personnelle et sociale. Une interprétation qui change au fil du temps, en fonction des connaissances, des expériences et d’un certain nombre de paramètres, notamment l’incertitude et le manque de traitement. Les craintes exprimées récemment en ce qui concerne Ebola en sont un bon exemple. De manière générale, il y a aujourd’hui dans nos sociétés une recherche continue de la sécurité car, globalement, le risque qui se réalise – au sens de ce qui n’a pas été anticipé adéquatement – est jugé intolérable.

La perception du risque lié au VIH/sida a-t-elle évolué au cours du temps?

Dans les années 1980, la maladie était synonyme de mort, donc effrayante. La maladie est aussi arrivée au moment où l’on pensait que la problématique des maladies infectieuses était réglée dans les sociétés occidentales, avec les vaccins et les antibiotiques. Le VIH/sida a ébranlé cette perspective et l’emballement actuel autour des nouvelles maladies infectieuses s’inscrit dans cette continuité. Aujourd’hui, les jeunes ont beaucoup de distance par rapport au VIH/sida. La mémoire sociale ne joue plus, le risque est abstrait et théorique. Cela ne motive pas à adopter des comportements sûrs. On peut donc dire que le VIH/sida est devenu un risque acceptable pour la population générale, auquel on peut s’exposer puisqu’il semble rare et que l’on peut désormais vivre longtemps avec le virus, moyennant un traitement à vie et coûteux. Il n’a plus le caractère menaçant qu’il avait il y a vingt ans.

Le risque étant considéré comme acceptable, sur quoi se fonde aujourd’hui la prévention contre le VIH/sida?

Sur une approche libérale fondée sur la responsabilité individuelle. Celle-ci se décline d’ailleurs dans plusieurs thématiques de la santé (obésité, tabagisme, etc.). La perspective de santé publique cherche notamment à identifier les facteurs de risques individuels et à rendre la population attentive à ce qui est bon ou pas, en invitant chacun à modifier ses comportements. Ça ne marche pas toujours, car même les personnes informées des risques continuent à adopter des pratiques pouvant être néfastes pour leur santé. Cela tient au fait qu’au-delà des connaissances, il y a beaucoup de dimensions symboliques ou culturelles dans les choix.

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