Journal n°117

La guerre des drones racontée par l’ex-opérateur Brandon Bryant

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L’usage des drones est-il immoral? Ces dernières années, plusieurs témoignages de pilotes-opérateurs – et une production hollywoodienne: «Good Kill» d’Andrew Niccol – ont contribué à révéler la face cachée de cette drôle de guerre.

Dans un article signé Nicolas Abé, et repris par plusieurs journaux européens, un militaire américain raconte son expérience de cinq ans comme opérateur de drones depuis un container au Nouveau-Mexique. Il suffisait alors à Brandon Bryant de presser un bouton pour qu’un homme meure à l’autre bout de la planète. Simple, précis, chirurgical. La distance de plusieurs milliers de kilomètres séparant le tireur de sa cible, en libérant le premier des dangers du combat sur le terrain et en atténuant son sentiment de responsabilité, laisserait penser à une guerre lâche et inhumaine.

Le témoignage de Brandon Bryant fait pourtant apparaître une réalité nettement moins tranchée. Les opérateurs passent en effet des semaines voire des mois à suivre leurs cibles, observent leurs faits et gestes quotidiens, apprenant à les connaître, avant de recevoir l’ordre de les abattre. Car les drones munis de caméras voient tout. «En été, de nombreux Afghans dorment sur leurs toits, à cause de la chaleur, raconte Brandon Bryant. Je les voyais faire l’amour. Ce sont deux points infrarouges qui fusionnent.» De ce point de vue, le tireur apparaît beaucoup plus proche de sa cible que ne l’est un pilote de bombardier ou un soldat encapsulé dans un véhicule blindé de type Humvee.

Tuer à distance a toujours suscité des réactions négatives. Lors de leur introduction sur les champs de bataille, l’arbalète et l’arc à longue portée ont ainsi été considérés comme des armes indignes d’un noble combattant. Plus tard, l’apparition des armes à feu a suscité des réactions similaires. Invoquer l’inhumanité des drones revient par ailleurs à oublier que les combats de tranchées durant la Première Guerre mondiale, où les soldats ennemis se faisaient pratiquement face, n’ont guère donné la preuve d’une grande humanité.

Les drones les plus sophistiqués peuvent aujourd’hui être munis d’équipements robotisés, capables de collecter des données et de les analyser afin de détecter un comportement suspect ou un signal envoyé par un individu au sol. Cela n’en fait pas pour autant des robots. Le drone reste une arme humaine, même téléguidée à longue distance. Le parcours de Brandon Bryant en témoigne. Au bout de cinq ans de loyaux services, il quitte l’US Air Force après s’être effondré un soir, sur son fauteuil devant ses appareils de commande, crachant du sang. Diagnostic des médecins: symptôme post-traumatique. Brandon Bryant, qui voulait devenir journaliste, s’est brûlé la conscience devant ses écrans.

A cette époque, il travaille souvent de nuit. Là-bas, à plus de 10 000 kilomètres, c’est le jour. Les paysages montagneux de l’Afghanistan au printemps lui rappellent son Montana natal avec ses sommets enneigés. Le drone lui envoie les images d’une maison en terre avec une étable pour les chèvres. Brandon reçoit l’ordre de tirer. Il marque le toit de la bâtisse au laser et le pilote assis à côté de lui déclenche le tir. Il reste 16 secondes avant l’impact. Brandon a encore à cet instant la possibilité de détourner le missile qui file droit vers sa cible. Il reste trois secondes. Brandon aperçoit alors sur son écran un enfant qui court à un angle de la maison. Il est trop tard. Un flash de lumière sur l’écran lui indique que la cible a été touchée. Il voit les murs de la maison s’effondrer dans un nuage de poussière. Puis plus rien. Brandon demande à son collègue s’ils viennent de tuer un gamin. Les deux hommes se repassent l’enregistrement, lorsqu’une voix dans leurs écouteurs, celle de l’officier chargé de superviser l’attaque, les interrompt: «C’était un chien!» Les deux hommes se regardent, consultent leur moniteur. A-t-on déjà vu un chien courir sur deux pattes?

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