Journal n°126

Gros plan sur les images de la rue

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Pendant trois jours, une trentaine de spécialistes interrogeront la place des images dans l’espace public. Un rendez-vous qui préfigure le lancement d’un certificat dédié aux études visuelles au semestre d’automne 2017

Les images nous veulent quelque chose. C’est du moins ce qu’affirme W. J. T. Mitchell, invité d’honneur (lire ci-contre) d’un colloque intitulé «Que font les images dans l’espace public?» Organisé par le Département de géographie et environnement et l’Institut de gouvernance environnementale et du développement territorial, l’événement se tiendra à l’UNIGE du 18 au 20 janvier prochain et verra une trentaine d’intervenants – géographes, architectes, historiens, philosophes, etc. – débattre du sujet selon deux axes: la raison de cette présence et ses répercussions. C’est à l’occasion d’un voyage d’études à Belfast que l’idée d’un tel événement a émergé. «Dans le contexte post-conflit propre à cette ville, les images de l’espace public poursuivent des objectifs très différents, selon les acteurs qui les ont produites», raconte Clémence Lehec, doctorante au Département. En effet, la municipalité effectue, de son côté, une mise en visibilité de la réconciliation, en utilisant une stratégie de communication basée sur des éléments visuels neutres ou qui représentent des thématiques communes permettant de sortir des clivages. Les traces du conflit sont effacées: certaines fresques de combattants sont par exemple recouvertes par des images du Titanic, dont la construction a été réalisée à Belfast. «Les différentes communautés utilisent, quant à elles, des images symboliques à des fins identitaires, notamment pour marquer leur territoire et rallier les populations à leur cause», continue Thierry Maeder, doctorant lui aussi. Ainsi, des symboles totalement étrangers au conflit nord-irlandais sont récupérés, les rues fleurissant par exemple de drapeaux palestiniens ou israéliens, suivant la confession catholique ou protestante des quartiers.

Fabrique du monde

Si le colloque a pour ambition de prendre en compte les questions d’intentions portées par les images, il s’intéressera également aux modalités de leur diffusion mais surtout à leur réception. Aujourd’hui en effet, l’image n’est plus un reflet du monde, elle participe à sa fabrication. Par exemple, deux photographies sont fréquemment évoquées pour avoir «changé le monde»: celle d’une fillette brûlée au napalm ou, plus récemment, celle du cadavre d’un petit garçon sur une plage. «Ces images ne décrivent pas ce qui s’est passé au Vietnam ou sur les côtes turques, explique Jean-François Staszak, professeur de géographie culturelle. Elles transforment notre façon d’appréhender le monde.» Dans le même ordre d’idées, la race – une idée très visuelle – s’est fabriquée en raison de l’augmentation de la visibilité d’images des différentes populations, que ce soit dans les manuels de géographie, sur des affiches ou dans des films.

Comment regarder

Les questions de diffusion ont leur importance, mais la mise en scène des images l’est également. Dans le cadre des statues par exemple, il y a volonté de mettre le public à distance en disposant celles-ci sur des piédestaux, une manière de figurer le pouvoir. «Quant aux «points de vue» que l’on rencontre un peu partout, ils obligent à regarder les choses d’une seule manière, explique le professeur Staszak. On nous dit que c’est là qu’il faut s’arrêter pour prendre une photographie. Le paysage est déjà transformé en image.» Le travail de thèse de Thierry Maeder s’intéresse d’ailleurs à la manière dont les politiques urbaines utilisent l’art et les images comme moyens de transformer le regard porté sur la ville. Le doctorant explique: «Le travail critique des artistes est souvent rendu inopérant pour servir les politiques publiques. La statue Frankie a.k.a, visible sur la Plaine de Plainpalais, propose par exemple différents niveaux de lecture: d’un côté, les artistes qui réactualisent la figure de Frankenstein sous la forme d’un exclu de la ville contemporaine et, de l’autre, la Ville de Genève qui met en avant un discours essentiellement commémoratif. Mon travail vise à comprendre quelle est la marge de manœuvre critique des artistes impliqués dans un processus de commande.» Interroger la place de l’image dans l’espace public est une question récurrente au Département de géographie et environnement, dans des contextes ou des modalités très différentes les unes des autres. Clémence Lehec s’intéresse ainsi de son côté aux corpus de graffitis dans les camps de réfugiés en Cisjordanie occupée. «Cette pratique artistique se place dans un contexte d’exception que sont les camps, des espaces marginalisés, non fermés et peu mis en visibilité par les médias, explique la géographe. Les images, dont la production s’inscrit à l’intérieur de la communauté, parlent des aspects de la vie des réfugiés et viennent alimenter le dialogue. C’est une manière de mettre en visibilité les éléments identitaires niés par l’autre camp, un mouvement de résistance.» Au travers de ses recherches, la doctorante a pour ambition de saisir le rapport à l’espace et aux frontières des personnes réfugiées. Quid de la formation académique dans le domaine? «Bien que la société soit noyée sous les images, les étudiants apprennent uniquement à travailler sur le textuel, regrette le professeur Staszak. Ils sont peu formés à l’image.» Pour pallier cette lacune, le Département lancera, au semestre d’automne 2017, un Certificat en études visuelles. La culture visuelle de nos sociétés est en effet en pleine révolution: «Avec l’apparition du smartphone et des réseaux sociaux, la production et la distribution des images sont devenues massives, alors que ce privilège était auparavant uniquement réservé aux professionnels, constate Jean-François Staszak. Le monde, devenu une image, est constamment regardé au travers d’un écran. Les selfies, notamment, changent complètement notre rapport à l’espace. L’utilisation de perches pour capturer ces images modifie même jusqu’à nos gestes et nos postures.» —

18 – 20 Janvier

Que font les images dans l’espace public?


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