Journal n°126

Les images sont des êtres animés

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Pape des études visuelles qu’il a contribué à fonder dans les années 1980, le professeur d’histoire de l’art W. J. T. Mitchell analysera la culture visuelle américaine à l’occasion de sa conférence «Psychose américaine: Trump et le cauchemar de l’histoire»

Qu’est-ce qui vous a amené à développer l’analyse de la culture visuelle?

W. J. T. Mitchell: Mes premiers travaux portaient sur la relation entre images et textes dans les livres enluminés du poète britannique William Blake. Cela m’a conduit à réfléchir de façon plus large aux interactions entre verbal et visuel, pas seulement dans les livres, mais dans toutes sortes de supports (cinéma, télévision, photographie, sculpture, peinture). Cela m’a également amené à réaliser que, curieusement, nous n’avions pas de bases théoriques pour étudier la communication visuelle à l’image de ce que la linguistique ou la poétique apportaient à l’analyse du langage. Il m’a donc paru important de développer l’étude du «visuel» avec une large diversité de points de vue.

En quoi les études visuelles se différencient-elles de l’histoire de l’art?

Je vois les études visuelles comme l’histoire de l’art appliquée au champ élargi de la «vision de tous les jours». Le domaine ne se confine pas aux arts, mais s’étend à la pratique visuelle quotidienne, à l’éventail complet des médias visuels ainsi qu’à l’internalisation de cette expérience visuelle dans les rêves, la mémoire et l’imaginaire ou encore à l’expérience psychologique consistant à lire ou à écouter une histoire.

Avec près de quarante ans de recul, quelle évolution observez-vous dans la discipline?

À l’heure de la diffusion massive de contenus, les études visuelles s’adaptent pour répondre à de nouveaux défis. Dans un environnement saturé d’informations et de désinformations visuelles, elles se concentrent désormais sur l’examen de réseaux très étendus, sans autorité centrale ou possibilité d’identifier une source. Internet, qui, dans les années 1980, promettait de donner un nouvel élan à la démocratie, est en effet devenu un champ de bataille où mensonges et désinformations peuvent s’imposer de manière virale.

Dans votre livre «Que veulent les images», vous développez l’idée que les images ne sont pas des objets inertes. Qu’entendez-vous par là?

Beaucoup d’images attendent de nous quelque chose, certaines formulent de grandes demandes: les idoles traditionnelles exigent un sacrifice humain, les fétiches veulent devenir des possessions intimes proches de nos corps, les totems espèrent être des amis. Un exemple évocateur est l’affiche de l’Oncle Sam qui recrute, un doigt pointé sur vous: «I want you for U.S. army». C’était à vous, l’observateur, de donner votre corps en sacrifice à la nation. Très récemment, Donald Trump a émergé comme une figure iconique: il voudrait voir son image devenir un symbole de force, de pouvoir et de contrôle absolu. Sa représentation appelle à la dévotion et à la foi en son leadership, peu importe que ses discours soient trompeurs, bigots ou frauduleux.

Comment dès lors expliquer sa victoire?

Malgré ses propos pompeux, sa réputation de magouilleur et d’auteur d’escroqueries, je suis fasciné par sa capacité à résister à la caricature. Pourquoi? Une théorie que j’explore est que la caricature ne fonctionne pas sur lui parce que, en tant que célébrité de la TV réalité, il s’est depuis longtemps déjà imposé comme une caricature, il n’y a donc plus rien à faire dans ce domaine. —


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