Journal n°84

Le Musée Rath offre ses murs aux maîtres de la tapisserie baroque

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Jusqu’au 2 mars, le Musée Rath expose des tapisseries colossales, issues des ateliers flamands du XVIIe siècle, représentant des figures antiques, en les plaçant sous le regard de l’archéologie

Pour affirmer leur grandeur, les souverains de l’époque baroque décoraient les murs de leurs palais de gigantesques tapisseries mettant en scène les plus glorieux épisodes de l’Antiquité. Décors somptueux d’une valeur inestimable, parfois tissées de fil d’or et d’argent, ces tentures attestaient de la richesse et de l’importance de leurs propriétaires. Qualité accessoire mais non moins recherchée, elles servaient également d’isolant thermique et phonique. Dans cet univers capitonné, princes et monarques pouvaient alors disserter sans fin sur l’immortalité des vertus aristocratiques et se prêter à de flatteuses comparaisons.

Brûlées ou ravagées par la moisissure, ces tapisseries n’ont pour la plupart pas résisté au passage du temps. Les pièces, près d’une vingtaine, exposées jusqu’au 2 mars au Musée Rath, font donc figure de raretés. Héros antiques ‒ La tapisserie flamande face à l’archéologie rassemble ainsi des collections du Musée d’art et d’histoire issues du legs Revilliod qui n’avaient plus été exposées depuis 1949, auxquelles s’ajoutent huit pièces de la collection Toms Pauli à Lausanne. Toutes ont fait l’objet d’une restauration auprès de la manufacture De Wit à Malines, en Belgique, qui leur a rendu leur lustre et leurs couleurs. Des professeurs de l’UNIGE ont apporté leur concours à cette exposition pour mettre en perspective ces œuvres du point de vue historique et archéologique.

Prouesses techniques

Impressionnantes de par leur taille (plus de 4 mètres de hauteur par 8 mètres de largeur pour les plus grandes) et leur très bon état de conservation, ces tapisseries ont été tissées au XVIIe siècle dans des ateliers flamands. Elles étaient réalisées à partir de «cartons», des modèles peints par des artistes de renom, parmi lesquels Peter Paul Rubens. Lissiers et teinturiers rivalisaient de prouesses techniques pour apporter les nuances chromatiques propres à donner du relief à leurs œuvres, au moyen de fils de laine pour les couleurs sombres et de soie pour les teintes plus claires.

Outre leurs qualités esthétiques, ces tentures offrent un intérêt de par les sujets représentés. Le héros antique y fait davantage office d’archétype destiné à délivrer un message moral que de personnage historique. Ainsi le cycle de Constantin, dont le Musée d’art et d’histoire possède la suite la plus complète avec sept pièces, montre le premier empereur converti au christianisme sous les traits d’Henri IV revenu dans le giron de l’Eglise catholique, à moins que ce ne soient ceux de Louis XIII, son fils. Ailleurs, les tuniques des personnages sont de style Renaissance, les chevaux sont ferrés et non chaussés comme dans l’Antiquité.

Mélange des genres

Ce mélange des genres n’a rien de choquant pour un lettré de l’époque baroque. Les matériaux de la composition sont empruntés à l’Antiquité mais le propos vise clairement un public contemporain. D’où l’intérêt représenté par ces tapisseries pour l’archéologue curieux de connaître le rapport de la culture du XVIIe siècle à l’Antiquité (lire ci-dessous). D’où aussi l’originalité de cette exposition qui place, en vis-à-vis de ces représentations baroques, des objets et des œuvres de l’Antiquité, sculptures, armes, lampes et tissus du IVe siècle, pour mieux faire ressortir le travail d’interprétation des artistes du XVIIe siècle.

Pour faire contrepoint au gigantisme des tapisseries et compléter ce jeu de regards entre Antiquité, période baroque et aujourd’hui, des pièces de taille réduite datant du XVIIe sont également exposées: estampes et livres ayant servi d’inspiration et de modèles, armes contemporaines à celles illustrées sur les tapisseries ainsi que des médailles genevoises représentant des scènes identiques.

Un catalogue accompagne l’exposition, avec notamment des contributions des professeurs de la Faculté des lettres Lorenz Baumer, archéologue, et Jan Blanc, historien de l’art.

| Exposition |

Héros antiques ‒ La tapisserie flamande face à l’archéologie Musée Rath, Genève Jusqu’au 2 mars


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