Journal n°84

Minimiser les risques de la recherche sur l’être humain

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Le 1er janvier, la Loi relative à la recherche sur l’être humain entrera en vigueur. L’UNIGE est concernée, en particulier au travers des recherches qu’elle mène au sein de la Faculté de médecine

Approuvé en mars 2010 par 77% des votants, l’article constitutionnel concernant la recherche sur l’être humain a donné naissance à la loi du même nom (LRH). Elle entrera en vigueur début 2014. Sa mise en œuvre a conduit à la création d’une commission d’éthique cantonale unique, la Cereh (Commission d’éthique de la recherche sur l’être humain). Entretien avec son président, Bernard Hirschel, professeur honoraire de la Faculté de médecine.

Qu’amène cette nouvelle loi?
Bernard Hirschel: La LRH vise à garantir la protection des personnes qui prennent part à un projet de recherche tout en maintenant la liberté de la recherche. Elle institue une commission d’éthique par canton (en pratique, huit ou neuf pour toute la Suisse), avec un champ d’application limité autour des maladies humaines et du fonctionnement du corps humain. Ainsi, les recherches menées à l’UNIGE en dehors de la Faculté de médecine ne sont pas concernées par l’obligation légale d’une revue éthique. Toutefois, au vu de l’enjeu majeur que représente la protection de la personnalité, l’institution a mis en place ses propres structures, au sein de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation ainsi que de la Faculté de traduction et d’interprétation.

Comment fonctionne la Cereh?
La recherche humaine est très réglementée et les requérants doivent fournir un grand nombre de documents: protocole expérimental, feuille d’information aux patients, CV des chercheurs, etc. Le secrétariat de la Cereh vérifie d’abord si le dossier est complet. Ensuite, un rapporteur étudie la demande en détail – méthodes statistiques utilisées, qualité de l’information au patient, interactions avec d’autres médicaments –, et prépare un projet de décision. Les membres de la Commission, répartis en comité d’au moins sept personnes, discutent alors des points contentieux et des changements à apporter. La Cereh est constituée de 40 membres, essentiellement des professionnels de la santé (médecins et infirmiers). D’autres profils sont aussi présents dans une moindre mesure (juristes, prêtres, etc.). Lors de la mise sur pied de la Commission, nous avions également fait appel aux organisations de défense des intérêts des patients, mais sans succès.

Quels sont les principes directeurs suivis par la Commission?
Avant toute chose, on cherche à ne pas faire de mal. La Commission s’assure que les risques ont été pris en compte et que tout a été entrepris pour les minimiser. Ensuite, la souveraineté du patient: lui seul doit pouvoir décider de sa participation ou non à un projet. Et enfin, les bénéfices doivent l’emporter sur les désavantages. Prenons, par exemple, un récent essai clinique visant à faire danser des diabétiques pour améliorer leur condition physique. Il est évident que cela ne comporte que peu ou pas de risques. Les bénéfices sont incertains, mais il n’y a aucune raison de ne pas approuver ce protocole. Pour les nouveaux médicaments, c’est plus difficile. Des effets néfastes non encore connus peuvent survenir. Un effet secondaire grave ne pourra, par exemple, être connu qu’au cours de l’étude. Le risque est incertain et le bénéfice l’est tout autant. Dans ce cas, la Cereh se base sur les données pré-cliniques obtenues lors des essais réalisés sur les animaux.

Comment gérer la tension entre les bienfaits que la recherche peut apporter à la société et les risques encourus pour le patient?
Le patient est dans une situation particulière de vulnérabilité. Par comparaison, dans la vie professionnelle, si un travail dangereux doit être effectué par un ouvrier, celui-ci reçoit une prime. Et c’est à chacun de décider s’il prend ce risque pour gagner un peu plus d’argent. Dans la recherche, c’est particulier. Si l’on souffre d’un cancer incurable, on est prêt à prendre des risques pour pouvoir se soigner. Et on le fait même si la balance entre les bénéfices possibles et les désagréments encourus est défavorable. D’où la nécessité d’une instance indépendante.

Quels sont les types de recherche examinés par la Commission?
Sur les 300 demandes déposées par an, 70% concernent des études épidémiologiques – comparer le nombre de grippes avec les données météo sur plusieurs années – ou des études rétrospectives – le devenir des patients dix ans après une opération. Le reste est constitué d’essais cliniques, dont les tests de médicaments.

Quelles sont les limites de la LRH?
La lourdeur du processus. La réglementation de la recherche clinique exige beaucoup d’administration, souvent pour des protocoles qui comportent peu de risques et peu de bénéfices. Par ailleurs, la loi exige d’informer le patient de tous les risques encourus. Toutefois, quand il y a trop d’informations, celles-ci ne sont pas lues, encore moins comprises. Un autre problème est lié à la définition des projets qui doivent être soumis ou non à la Cereh. Une étude qui voudrait examiner l’effet des violences domestiques sur les résultats scolaires n’est pas soumise à obligation légale, mais est à haut risque pour des raisons de confidentialité. Par contre, si l’on veut comparer l’efficacité des instruments de mesure de la mobilité articulaire d’un patient, le projet doit être soumis à la Commission. La loi vise à protéger les sujets de recherche, mais ces deux exemples montrent que ce n’est pas toujours le cas. Il est donc nécessaire de maintenir d’autres commissions éthiques comme le fait l’UNIGE.