Journal n°97

Quand la nature cherche à se faire une place en ville

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Des chercheurs des universités de Genève et de Lausanne ont étudié, à la faveur d’un projet financé par le Fonds national de la recherche scientifique, les pratiques de renaturation du paysage urbain

Emblématiques de la domination exercée par l’homme sur la nature, les villes cherchent aujourd’hui leur salut dans l’aménagement et la création de nouvelles formes d’espaces verts. Potagers urbains, éco- quartiers et renaturation font désormais partie du lexique des urbanistes. Les villes ont certes toujours abrité des zones de verdure, mais par le passé, celles-ci avaient principalement une fonction ornementale. On s’y rendait pour le plaisir de l’œil, pour assouvir sa nostalgie des grands espaces ou encore dans un but pédagogique, dans des jardins botaniques, où se trouvent conservées des espèces végétales depuis longtemps disparues du paysage urbain. Aujourd’hui, la ville est considérée comme un biotope à part entière, autour duquel se cristallisent toutes sortes d’enjeux environnementaux, économiques et sociaux.

Une nature adaptable?

Quel est le statut de la nature en ville? S’agit-il d’un environnement modulable, maîtrisé et adaptable aux besoins de l’homme ou, au contraire, d’espaces qui doivent être maintenus à l’état sauvage? A l’aide de quelles représentations et catégories les acteurs concernés pensent-ils la nature en ville?

A ces questions, sept chercheurs des universités de Genève et de Lausanne ont apporté des éléments de réponse à travers un projet financé durant trois ans et demi par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (1). Un colloque réunira, le 28 novembre au Théâtre de l’Usine, des universitaires, des acteurs institutionnels et des milieux associatifs, des artistes ainsi que le public pour discuter des conclusions de ce travail (lire ci-dessous).

Assistant au Département de géographie et environnement de l’UNIGE, Simon Gaberell s’est intéressé au rôle des organisations de protection de la nature. Leur intérêt pour la ville, longtemps considérée en opposition à la nature est en effet relativement récent. «Ces organisations ont découvert que la ville abrite parfois une biodiversité plus riche que celle de certaines zones agricoles, explique le chercheur. Elles se sont également aperçues qu’en ramenant un peu de nature en ville, les citadins seraient incités à moins utiliser leur voiture pour quitter la ville, évitant ainsi d’empiéter sur des espaces naturels destinés à être préservés.»

Améliorer la qualité de vie en ville grâce à des aménagements portés par des associations de quartier afin de limiter la frénésie de mobilité des citadins: c’est sur la base de ce raisonnement que de nombreuses organisations se sont impliquées ces dernières années dans des projets visant à l’aménagement d’espaces verts de loisirs, avec des positionnements parfois antagonistes en raison du flou entourant la notion de nature et, a fortiori, de nature en ville.

A Genève, plusieurs projets d’aménagement récents des rives du lac et du Rhône ont catalysé ces divergences. Quel doit être l’intérêt public prépondérant? L’agrandissement des pontons au bord du Rhône à la Jonction a ainsi été bloqué par une association d’habitants par crainte des nuisances qui pourraient en résulter. Et surtout, de quelle nature parle-t-on? Les partisans du projet de la Plage des Eaux-Vives, porté initialement par un Conseiller d’Etat vert, avec le soutien de plusieurs associations environnementales, dont l’Association de sauvegarde du Léman, et bloqué au final par la section genevoise du WWF, conçoivent la Rade comme un élément de nature dans un milieu urbain. De ce fait, elle est dotée d’un statut différent qui autorise une pesée des intérêts particulière lors d’aménagements. L’aspect social prend alors une dimension importante: l’élément naturel peut répondre à des besoins sociaux, voire être amélioré, à travers des aménagements favorables au développement de la biodiversité. A l’opposé, le WWF a adopté une position plus naturaliste, en partant du principe qu’il fallait minimiser les atteintes à l’environnement. D’ailleurs, il ne s’est pas opposé à la plage elle-même, mais au parc adjacent qui était prévu et qui constituait un aménagement beaucoup plus considérable quantitativement parlant.

Visions divergentes

Pour Simon Gaberell, cette multitude d’approches et de représentations est également tributaire de conceptions divergentes du rapport de l’homme à la nature. «D’un côté, on est dans un rapport de protection, où la nature doit être préservée au maximum de l’influence humaine. De l’autre, l’être humain est considéré comme un facteur perturbateur au même titre que d’autres éléments naturels, dans une vision plus dynamique de l’écologie, qui intègre des composantes sociales et économiques.»

(1) «NaVille – les Natures de la Ville»


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