Journal n°97

La Suisse pourrait-elle renoncer aux droits de l’homme?

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Alors que la Suisse fête le 40e anniversaire de la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme, ces derniers sont de plus en plus souvent questionnés

Le 3 octobre 1974, l’Assemblée fédérale approuvait la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). En adoptant ce texte près de vingt-cinq ans après sa création, la Suisse acceptait aussi la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme, le tribunal international chargé d’appliquer la CEDH.

Depuis, des milliers de justiciables n’ayant pas obtenu gain de cause au niveau national ont pu faire valoir leurs droits devant cet organe juridictionnel, ce qui a profondément changé l’ordre juridique de notre pays.

Une justice impartiale

La relation de la Suisse avec Strasbourg, siège de la Cour européenne des droits de l’homme, a, entre autres, permis d’harmoniser notre droit de procédure pénale. «Au moment de la ratification, la Suisse avait émis une réserve sur certains points de la CEDH. C’était le cas pour le droit d’accéder à un tribunal, explique Maya Hertig Randall, professeure de droit et coéditrice, avec le professeur Michel Hottelier, de l’ouvrage Introduction aux droits de l’homme (lire ci-dessous). A cette époque, le particulier n’avait pas forcément accès à un juge impartial et indépendant, c’est-à-dire à une instance qui ne faisait pas partie de l’administration ou du gouvernement.» La Cour européenne a invalidé cette réserve, provoquant de fortes réactions. Les cantons et la Confédération ont tout de même modifié leur droit de procédure pour l’aligner sur la jurisprudence de la Cour, décriée à l’époque comme heurtant la souveraineté des cantons, mais qu’aujourd’hui personne ne conteste. «La Suisse a même fait un pas supplémentaire en introduisant le droit d’accès au juge dans la nouvelle Constitution fédérale de 1999, ajoute Maya Hertig Randall.»

Gardienne des droits

Aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme suscite des critiques. Certains envisagent même une initiative sur la primauté du droit national. «Une sortie du système conventionnel marquerait un coup d’arrêt à plus de quarante ans d’évolution et de progrès dans la protection des droits fondamentaux et des minorités», relève Michel Hottelier, professeur à la Faculté de droit. Cela entraînerait également la sortie de la Suisse du Conseil de l’Europe. «Avec la montée du nationalisme et l’évolution de la vie en société, qui génère de nouvelles formes de précarisation et de marginalisation, le rôle de la cour de Strasbourg comme ultime gardien des droits fondamentaux, notamment ceux des étrangers privés de voix politique, devient de plus en plus important», insiste Michel Hottelier.

Historique

La CEDH est un traité international signé par les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, une organisation fondée à la suite des atrocités commises durant la Deuxième Guerre mondiale. La Convention était alors considérée comme essentielle pour éviter tout retour à la barbarie. Entrée en vigueur en 1953, elle a pour but de protéger les droits de la personne humaine et les libertés fondamentales en permettant un contrôle judiciaire du respect de ces droits individuels. La Suisse, entrée en 1963 dans le Conseil de l’Europe, a mis en place un certain nombre de mesures de rang constitutionnel, dont le vote des femmes, pour assurer la compatibilité de son système juridique avec la CEDH, avant de ratifier cet instrument.