Journal n°146

Comment les inégalités affectent les démocraties

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Paris, avril 2012. AFP

L’accroissement des inégalités  est un des traits marquants de l’évolution des sociétés depuis une vingtaine d’années. De nombreux travaux d’économistes, comme ceux de Thomas Piketty ou plus récemment ceux de Luigi Pistaferri, ont permis de quantifier et d’expliquer ce phénomène. Mais qu’en est-il de son impact sur le plan politique? Par le passé, les inégalités ont été à l’origine d’importants mouvements sociaux, parfois même de bouleversements historiques. En quoi affectent-elles aujourd’hui le fonctionnement des démocraties libérales?

Professeur au Département de science politique et relations internationales (Faculté des sciences de la société), Jonas Pontusson dirige depuis septembre 2017 un programme de recherche européen (ERC Advanced Grant) consacré à cette question. Pour tenter de cerner un sujet aussi vaste, Unequal Democracies prévoit de combiner deux types de données: l’effet des inégalités sur les choix politiques des citoyens, d’une part, et, d’autre part, sur la manière dont les gouvernements répondent à ces préférences.

Les inégalités s’accroissent. Mais la plupart des démocraties n’ont pas pour autant adopté de mesures de redistribution fortes ces dernières décennies

Les inégalités s’accroissent. Mais la plupart des démocraties n’ont pas pour autant adopté de mesures de redistribution fortes ces dernières décennies, «c’est même plutôt le contraire qui est vrai», observe Jonas Pontusson. Comment expliquer que, durant cette même période, les partis historiquement associés à des politiques plus redistributives ont sensiblement perdu de leur influence?

Jonas Pontusson avance trois explications possibles. Selon la première, les citoyens sont insuffisamment informés sur la réalité des écarts de richesse et de revenu. Selon la deuxième explication, ils ont adopté la profession de foi selon laquelle l’enrichissement des plus riches est bénéfique à long terme à l’ensemble de la population, y compris aux plus défavorisés. Selon la troisième, enfin, les citoyens estiment que les gouvernements sont impuissants à juguler un phénomène lié à des transformations économiques et technologiques sur lesquelles les politiciens ont peu de prise. Ce qui expliquerait aussi pourquoi ils tournent leurs regards vers d’autres sujets politiques, comme l’immigration, là où ils considèrent que les gouvernements ont davantage de marge de manœuvre.

Disposer de moyens financiers permet d’exercer une influence.

Les inégalités ont également un impact sur la manière dont les gouvernements réagissent aux attentes des citoyens. Des études menées aux États-Unis ont montré que les parlementaires sont en moyenne plus attentifs aux demandes des couches les plus aisées de la population qu’à celles des plus défavorisées. Disposer de moyens financiers permet d’exercer une influence. Parce qu’ils votent moins, les plus pauvres représentent par ailleurs un moindre enjeu du point de vue électoral. «Les partis de gauche, traditionnellement plus attentifs au rôle redistributeur de l’État, ont peut-être cru qu’il n’était plus nécessaire de mettre en place des mesures compensatoires, afin d’amortir les incidences négatives qu’a pu avoir la libéralisation de l’économie sur les classes défavorisées», relève Jonas Pontusson.

Dans les mois à venir, le groupe de recherche Unequal Democracies va approfondir les données disponibles en les couplant et mener des enquêtes dans une quinzaine de pays européens afin d’avoir des éléments de comparaison. Outre l’attitude des citoyens et des gouvernements vis-à-vis des inégalités, les chercheurs s’intéresseront au rôle des syndicats et à la montée en puissance des partis populistes. —

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