Journal n°146

La consommation est un bon indicateur des inégalités

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Alors que le nombre de personnes se situant sous le seuil de pauvreté dans le monde baisse considérablement, les inégalités, elles, se creusent, devenant un problème majeur de nos sociétés, au point d’alarmer le Fonds monétaire international qui fait dorénavant de la lutte contre les inégalités excessives l’un de ses objectifs. Dans cette perspective, comprendre et mesurer l’état de la situation est essentiel.

Luigi Pistaferri, professeur d’économie à Stanford University, s’intéresse aux inégalités sous l’angle de la consommation qu’il considère être un meilleur indicateur de la qualité de vie à long terme. Il est l’invité de la Faculté d’économie et management pour une conférence publique qu’il donne, en anglais, le 17 mai à Uni Mail.

Tour d’horizon avec Giacomo De Giorgi, professeur d’économie à l’UNIGE, expert en économie du travail, économie du développement et économétrie appliquée.


Comment définit-on l’inégalité?
Giacomo De Giorgi: En économie, c’est la distance entre les riches et les pauvres en termes de revenus, de consommation et de richesses. Sur la base de données récoltées dans un large échantillon de population, chaque individu ou famille est classé en fonction de son niveau personnel, pour arriver à un classement global de la population avec les plus riches à une extrémité et les moins riches à l’autre.

Nous n’accordons pas de valeur à l’argent pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il nous permet de faire

Certains, comme le professeur Pistaferri, préfèrent se référer à la consommation. Pourquoi?
Les inégalités sont souvent considérées du point de vue des revenus. Or, nous n’accordons pas de valeur à l’argent pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il nous permet de faire, pour la capacité à consommer qu’il nous apporte. De ce point de vue, la consommation est une meilleure mesure de la richesse des individus.

Pour quelles raisons?
Les revenus varient énormément au cours d’une vie: on peut être plus ou moins productif, tomber malade, perdre son emploi ou gagner à la loterie. La mesure des revenus est temporaire, car pleine de chocs. Celle liée à la consommation est moins sujette à variation, elle permet de ne pas se focaliser sur les transitions, mais de prendre en compte un cycle de vie. Pour cette raison, c’est donc une mesure plus représentative de la qualité de vie à long terme.

Comment l’expliquez-vous?
On observe que, malgré des fluctuations de revenus, les individus cherchent à conserver un même niveau de consommation, que ce soit en recourant à l’épargne engrangée antérieurement, ou en empruntant à leurs proches, à l’État ou aux banques. Ces montants s’ajoutent aux revenus et permettent de stabiliser, de lisser la consommation des ménages. La capacité de ces derniers à y recourir fait partie de leur qualité de vie ainsi que de leur perspective d’avenir.

Quels sont les éléments qui entrent dans le calcul?
La consommation regroupe des biens non durables, tels que l’alimentation, des biens semi-durables, comme l’habillement, et des biens durables, avec, par exemple, les appareils électroménagers ou la valeur locative d’un logement. La mesure des premiers est assez simple, mais ce n’est pas le cas des deux autres. En effet, l’achat d’une voiture se fait une fois pour les années à venir, il faut alors estimer la proportion de sa valeur consommée pour une année. Par ailleurs, les données généralement utilisées sont quantitatives. En revanche, la qualité des acquisitions peut être déduite du prix des biens achetés.

La consommation est beaucoup plus inégalitaire qu’on ne se l’imaginait.

Que constate-t-on?
Les récentes études, auxquelles le professeur Pistaferri a contribué, montrent que la consommation est beaucoup plus inégalitaire qu’on ne se l’imaginait. Toute la difficulté consiste, en effet, à mesurer précisément le niveau de consommation des ménages, ce que les économistes peinaient à faire jusqu’à peu. Aujourd’hui, on remarque que tant le revenu que la consommation révèlent une augmentation des inégalités.

Pourquoi est-il important de mesurer les inégalités?
Les raisons sont nombreuses, citons-en deux. Premièrement, il semble important que la vie des générations futures ne soit pas prédéterminée par le niveau de richesse de leurs parents, que tous les individus soient égaux face aux opportunités. La deuxième raison concerne l’équilibre de la société. On sait en effet que dans les sociétés très inégales, une poignée de privilégiés pèse d’un poids disproportionné dans les décisions politiques.

Connaître l’état de la situation est donc essentiel?
Oui, c’est terriblement important et, pour ce faire, il est nécessaire d’avoir plusieurs indicateurs permettant de cerner le phénomène dans son ensemble. D’autant plus que la perception des individus est très subjective: beaucoup de personnes se croient pauvres, alors qu’elles sont dans les 10% les mieux loties.

Que proposez-vous pour réduire les inégalités?
Le rôle des académiques est avant tout d’établir des faits et de tenter de comprendre la situation. C’est aux autorités politiques de définir les moyens qui permettent la réduction des inégalités. Nous savons cependant  que la taxation progressive réduit les inégalités, même si dans le même temps des impôts trop élevés provoquent la fuite des capitaux. Il me semble qu’en tant qu’économistes, nous défendons une réduction des inégalités des opportunités, plus qu’une égalisation des revenus. —

Jeudi 17 mai
18h30Inequality through the Lenses of Consumption and Wealth, by Luigi Pistaferri
Uni Mail, MR290