Journal n°156

Mentaliser, du corps à l’esprit

image-2.jpgPour Martin Debbané, professeur associé à l’Unité de psychologie clinique développementale (FPSE), la capacité de mentaliser représente un des fondements de l’aptitude d’Homo sapiens à communiquer et lui a donc conféré un avantage évolutif déterminant. «Contrairement à l’Homme de Néandertal, il a pu constituer des groupes dépassant la centaine d’individus, explique le chercheur. Le «vivre ensemble» qu’exigent de tels groupes – pensons à des aires urbaines qui atteignent près de 30 millions d’habitants aujourd’hui – présuppose une capacité de communiquer pour se comprendre, se tolérer et collaborer. L’apparition du cortex préfrontal chez Homo sapiens, il y a environ 50 000 ans, a permis à notre espèce de franchir ce pas et de nous confronter à une complexité toujours croissante et aux imprévus de l’environnement.»

Cette capacité à communiquer autorise une transmission du savoir au travers des générations: «si plusieurs espèces animales sont capables de fabriquer des outils, Homo sapiens est la seule à être en mesure d’en créer certains afin d’en fabriquer d’autres, poursuit Martin Debbané. Le fonctionnement de ce type d’outils n’étant pas intuitif, la manière de les utiliser se transmet par la communication. C’est précisément cette capacité de transmettre qui nous a permis d’accumuler un savoir: les connaissances acquises par un individu ne disparaissent pas avec lui à sa mort. Du point de vue évolutif, si la sexualité permet la transmission de l’information génétique, la communication transmet l’information culturelle.»

C’est le paradoxe des nouveaux modes de communication: ils peuvent contribuer à nous couper des autres et à cliver les différents groupes d’une même population

La mentalisation entre également en jeu dans cette transmission des connaissances. En effet, de par son apprentissage à décrypter les émotions et les états d’esprit, tout un chacun est amené à décider à quelle source d’information faire confiance ou non. Une capacité aujourd’hui mise à rude épreuve par les fake news et le filtrage de l’information: «L’apprentissage lié à la mentalisation se fait en entrant en relation avec autrui, explique Martin Debbané. Or, des outils comme Facebook ou Instagram fonctionnent inversement, en nourrissant l’individu de ce qui lui est proche et familier. D’où le risque de tourner en rond et de rester prisonnier d’une vision du monde auto-centrée, au détriment d’un apprentissage passant par la confrontation à l’altérité. C’est le paradoxe des nouveaux modes de communication: ils peuvent contribuer à nous couper des autres et à cliver les différents groupes d’une même population, plutôt que de fournir les moyens de communiquer pour mieux vivre ensemble.»  —

Mardi 12 mars  — 19h
Mentaliser: la rencontre des cerveaux par Martin Debbané et Nader Perroud
Uni Dufour, U600