Journal n°157

Jean Starobinski, un esprit libre en relation critique avec le monde

image-4.jpgUn esprit libre comme celui de Jean Starobinski défie d’emblée les catégories. Son envie de comprendre et l’exigence de sa curiosité l’ont poussé à s’intéresser à une multitude de domaines, qui s’enrichissent mutuellement sous son œil critique. La puissance de son interrogation – mot si juste emprunté au professeur Martin Rueff – traverse les barrières des disciplines, ou plutôt les ignore.

Jean Starobinski termine ses études de lettres en 1942, et celles de médecine en 1948. Rien d’incongru pour lui à additionner ou plus exactement à faire dialoguer critique littéraire et médecine. Son approche du texte, comme celle du malade, relève de ce qu’il appelle la relation critique. Relation à l’auteur ou relation au malade, il s’agit toujours d’une relation à une autre conscience, une relation qui nécessite un regard à distance, mais aussi une analyse empreinte d’empathie et de curiosité.

C’est durant ses études de médecine qu’il rencontre Jacqueline Sirman. Ils se marient en 1954 et auront trois fils. Tandis qu’il poursuit sa double trajectoire universitaire, Jacqueline termine sa formation d’ophtalmologue.

Durant plusieurs années, le professeur Starobinski est assistant en lettres et en médecine: aux Hôpitaux universitaires de Genève, à l’Hôpital psychiatrique de Cery, ou encore à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore lors d’un séjour décisif pour la suite de sa carrière. Dans la préface de L’encre de la mélancolie, il écrit: «Je suis souvent considéré comme un médecin défroqué passé à la critique et à l’histoire littéraires.  À la vérité, mes travaux furent entremêlés.» C’est évident pour qui l’a entendu et lu.

Si ses intérêts couvrent de larges champs – histoire, psychologie, psychiatrie, psychanalyse, peinture, musique, littérature ou encore philosophie – sa pensée n’effleure pas; bien au contraire elle creuse, elle exige, elle renouvelle, elle crée, elle libère; profonde, complexe et pourtant limpide.

Il a toujours été impliqué dans différentes sociétés savantes et s’est engagé activement dans les Rencontres internationales de Genève, qu’il dirigera entre 1965 et 1996.

Ses travaux de recherche ont fait rayonner son nom, celui de l’École de Genève, et celui de l’Université dans le monde entier. Mais Jean Starobinski a également enseigné durant plusieurs décennies, tant en Faculté des lettres qu’en Faculté de médecine. À cette époque, il n’y avait pas d’objectifs d’apprentissage: il procédait par une forme de vagabondage intellectuel organisé. Il prenait ses étudiants par la main, il les emmenait sur des sentiers dépaysants, dont le tracé n’était connu que de lui, mais qui devenait lumineux au fil des séminaires. Sa pensée était limpide, son vocabulaire sophistiqué et accessible, sans jamais aucun jargon. Sa réflexion était si propulsive qu’elle diffusait dans l’esprit de ses étudiants des mois et des années encore. L’Université de Genève est fière d’avoir abrité une telle personnalité qui a montré tant de générosité à l’égard de ses étudiants, et qui a illuminé la vie intellectuelle internationale par ses recherches. Elle exprime toute sa sympathie à ses proches.  —

Texte repris partiellement de la laudatio prononcée par la professeure Micheline Louis-Courvoisier lors du Dies academicus de l’Université, le 12 octobre 2018