26 Janvier 2023 - Melina Tiphticoglou

 

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Quitter la clandestinité: une libération autant qu’une désillusion

L’étude Parchemins a suivi durant quatre années 400 personnes résidant sans statut légal à Genève, dont la moitié avait entrepris la procédure de régularisation Papyrus. Arrivée à son terme, elle livre ses résultats et invite la population à les découvrir.

 


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En février 2017, le Canton de Genève lance l’Opération Papyrus dans le but de faciliter la régularisation des sans-papiers, ce qui amènera près de 3000 personnes à obtenir un permis B. Le projet de recherche Parchemins, quant à lui, a suivi cette population durant quatre années pour évaluer l’impact de la régularisation sur la santé et les conditions socio-économiques des migrant-es à Genève. Photo: Keystone/S. Di Nolfi


Voyager de nouveau. Telle est l’amélioration principale que les personnes migrantes régularisées signalent aux chercheurs et chercheuses du projet Parchemins. Cette étude visait à évaluer l’impact d’une régularisation sur la santé et les conditions socio-économiques des migrant-es sans papiers à Genève. Elle vient de se conclure après quatre ans de travaux.
 
Conduite par Yves Jackson, professeur assistant à la Faculté de médecine et aux Hôpitaux universitaires de Genève, et Claudine Burton-Jeangros, professeure au Département de sociologie (Faculté des sciences de la société), l’étude Parchemins a suivi les trajectoires de 400 personnes résidant sans statut légal, dont la moitié avait entrepris la procédure de normalisation Papyrus – du nom de ce projet pilote mené par le Canton de Genève, entre 2017 et 2018, et qui a mené à la régularisation de près de 3000 personnes.

 

Arrivée au bout de la collecte des données en cours de valorisation, l’équipe de recherche propose un événement de clôture le mercredi 15 février à Uni Dufour. Pensé en deux temps, celui-ci s’adressera d’abord aux chercheurs/euses et aux professionnel-les (14h30-16h30), puis au grand public (17h-19h). L’occasion de présenter les principaux résultats de l’enquête et d’entendre le témoignage de migrant-es qui ont pris part au projet.

Une armée d'enquêteurs/trices
L’étude longitudinale Parchemins combine des données quantitatives, collectées sur la base de questionnaires standardisés, et des données qualitatives issues d’entretiens approfondis, afin d’établir non seulement les caractéristiques socio-démographiques des participant-es, mais aussi et surtout d’évaluer leurs conditions d’existence (logement, qualité de vie), leurs conditions d’emploi, leur état de santé et leur degré d’accès aux soins. Au vu de l’ampleur de la tâche, un grand nombre de stagiaires et d’étudiant-es de master ont été mobilisé-es pour collecter ces données et pour explorer un aspect particulier de la question, comme les enjeux éthiques de l’étude ou son traitement par les médias. Deux doctorant-es, Julien Fakhoury et Liala Consoli, ont également conduit leurs thèses dans ce cadre. Enfin, deux boursières d’excellence de la Confédération ont rejoint l’équipe de recherche à l’automne 2022 pour participer à l’analyse de cette masse de données, recueillie dans un contexte marqué par la pandémie et des retards dans le processus de régularisation – certain-es ont dû attendre jusqu’à deux ans pour obtenir leur permis de séjour.

«Globalement, la régularisation a des effets favorables dans différents domaines, mais elle amène aussi son lot de difficultés», rapporte Claudine Burton-Jeangros. Parmi les améliorations notables, la plus citée est la capacité à pouvoir se déplacer: sortir de chez soi ou traverser les frontières sans crainte d’être arrêté-e est une grande libération et permet aux familles de se retrouver après parfois plus de dix années de séparation. Bénéficier d’un statut légal permet en outre de concrétiser des projets de vie, comme le mariage, ou de se sentir appartenir à la communauté. Comme attendu, l’accès au système de soins progresse par ailleurs pour les personnes régularisées qui disposent plus fréquemment d’un médecin traitant et renoncent moins souvent à consulter.

Pour ce qui est du travail, le constat est plus mitigé, d’autant que la période durant laquelle l’étude a été conduite a été passablement chamboulée par la pandémie. Si pour de nombreux/euses participant-es, les conditions d’emploi se sont améliorées après la régularisation, les salaires horaires restent bas. Les deux tiers des participant-es disposant d’une qualification professionnelle, elles et ils aspiraient par ailleurs à exercer dans des secteurs plus valorisés. Ayant travaillé en dessous de leurs compétences durant dix ou quinze ans de clandestinité, elles et ils peinent toutefois à être concurrentiel-les dans un marché du travail genevois très tendu. D’autres, enfin, ont été licencié-es après que leur employeur/euse a refusé de les déclarer.

Accompagner l'entrée dans la vie légale
Les migrant-es récemment régularisé-es rapportent aussi de nouvelles difficultés. Entrer dans le système légal implique en effet de payer des impôts, de conclure une assurance maladie et d’apprendre à naviguer dans le système administratif. Le tout sans transition. Pour Claudine Burton-Jeangros, il s’agit d’un enjeu important, qui nécessite un accompagnement.

Si les chercheurs et chercheuses s’attendaient à ces résultats ambivalents, les migrant-es, quant à eux/elles, avaient beaucoup d’espoir. «Il y a eu une certaine désillusion, rapporte Claudine Burton-Jeangros. Les données qualitatives suggèrent également que dix ans de précarité et de clandestinité ne s’effacent pas si facilement. Afin d’observer l’évolution de leur parcours de vie, il serait intéressant de pouvoir suivre ces personnes et de voir ce qu’elles deviennent, mais les financements s’arrêtent cet été.» D’ici là, l’équipe de recherche poursuit l’analyse des données et prépare un manuscrit destiné à un large public pour partager les principales conclusions de l’étude Parchemins.

 

 

SORTIR DE LA CLANDESTINITÉ
Quel impact sur les conditions de vie et la santé des migrant-es?

RENCONTRES ET TABLE RONDE
Mercredi 15 février 2023 | 14h30-19h
Uni Dufour | Auditoire  U300

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