Notre Master en Sociologie

Classer pour soigner? Le dépistage du VIH: un dispositif de santé publique aux prises avec les rapports sociaux

3 mai 2017



Maud Gelly est médecin dans un centre d’IVG en région parisienne et sociologue (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris - CRESPA). Au travers de son travail de thèse, elle a cherché à explorer le rôle du système de santé par rapport aux inégalités sociales de santé. Le 26 avril 2017, nous avons eu la chance de l'écouter à l'occasion du Forum 2017 organisé par l'Institut de recherches sociologiques.

Et si le système de santé reproduisait, amplifiait les inégalités de santé ?

L’Etat, au travers d’une politique de prévention et d’accès aux soins, œuvrerait à la réduction de ces inégalités ; or cela même est remis en question dans certaines études. En ce sens, ce travail de thèse s’est organisé autour de l’hypothèse qu’il y a des discriminations, intentionnelles ou pas, ainsi qu’un effet « gueule du client ». Il s’agissait ainsi pour Maud Gelly d’étudier comment des agents rendaient un service en fonction du classement social qu’ils opéraient. Elle a choisi comme terrain des services de dépistage du VIH/sida, au travers de trois types d’acteurs : médecins, infirmiers et acteurs associatifs non professionnels de santé pour certains ; correspondant à autant de types de centres différents s’adressant à des publics variés (grand public, hommes ayant des relations sexuelles entre hommes/HSH, personnes migrantes).

Un classement selon la « gueule » du professionnel

L’étude de ces différents services s’est avérée pertinente afin de dégager certaines logiques de classement. Tout d’abord, les pratiques de classement apparaissent plus marquées dans les services publics contrairement aux associations dont les actions en « aller vers » ciblent en amont le public auquel sera proposé le dépistage. L’intervenante précise l’embarras à « classer » leur public pour certaines professions comme les infirmiers. Les médecins quant à eux classent selon les nomenclatures épidémiologiques (gay/HSH, migrant, etc.). A l’inverse, il apparait que les intervenants associatifs classent d’autant plus finement que eux-mêmes sont proches des usagers (approche par les pairs). Un constat néanmoins s’impose : la classe sociale ou encore le genre n’apparaissent que peu dans ces logiques de classement ou même sont absentes des approches épidémiologiques. Sur ce dernier point, Maud Gelly ambitionnait d’étudier cet effet de classement en regard des catégories surreprésentées en termes de mortalité liée au VIH. La limite est ici celle de ne pas avoir eu accès à la chaîne qui sépare le dépistage du décès, même si des pratiques favorables en termes de lien avec le soin ont été identifiées, comme l’ouverture des droits à l’assurance maladie au travers des services publics.

Au travers de ce travail, d’autres logiques de classement apparaissent, comme les conseils préventifs qui sont ajustés selon ces mêmes logiques de classement, seuls les hommes blancs sont questionnés sur l’homosexualité, quand les hommes non blancs ou les femmes ne le sont pas, et Maud Gelly d’évoquer une racialisation également à l’œuvre. Autre exemple, le fait de dispenser plus d’explications aux usagers qui les comprennent le mieux. Ce point rejoint le propos d’Alexandra Calmy, responsable de l’unité VIH au HUG, qui évoque que le problème n’est pas la « couleur » du patient mais la langue ; elle observe que plus de personnes sont hospitalisées parmi ceux qui ne parlent pas français.

Il apparait donc que la construction de catégories oriente le classement des publics par les acteurs du dépistage et ce classement répond également à des intérêts professionnels et de routines de travail. Enfin, tout traitement social différencié n’est pas nécessairement discriminatoire, mais à quelles conditions peut-il jouer un rôle correctif des inégalités sociales de santé ? De nouvelles études seraient nécessaires pour l’explorer.

Nicolas Charpentier, étudiant du master en sociologie, 2 mai 2017



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