Editorial de l'été 2025: "L’énergie sombre et l'expansion de l'univers" par Trinh Xuan Thuan

L’ENERGIE SOMBRE ET L’EXPANSION DE L’UNIVERS

Trinh Xuan Thuan
Professeur émérite d’astronomie
Université de Virginie

Plus des deux-tiers du contenu en masse et énergie de l’univers sont considérés aujourd’hui sous la forme d’une mystérieuse « énergie sombre » qui accélère l’expansion de l’univers. Les cosmologistes la décrivent comme une « constante cosmologique » dans les équations de la relativité générale. Cette constante cosmologique a eu une histoire mouvementée qui continue jusqu’à aujourd’hui, et qui a entraîné des révisions profondes de l'histoire du monde depuis le Big Bang. Cet éditorial propose d’aller ensemble à la découverte des rebondissements de cette histoire.

De l’espace qui se crée

Nous pensons aujourd’hui que l’univers est né, il y a 13,8 milliards d’années dans une fulgurante déflagration, appelée Big Bang, à partir d’un état extrêmement petit, chaud et dense. Cette idée d’une explosion primordiale repose sur la découverte fondamentale dans les années 1920 par l’astronome américain Edwin Hubble et le chanoine belge Georges Lemaître que l’univers est en expansion. En effet, Hubble découvre en 1929 que toutes les galaxies lointaines fuient systématiquement la Voie lactée, et que ce mouvement de fuite est d’autant plus accentué que la galaxie est plus éloignée. Conséquence fondamentale de cette proportionnalité entre vitesse et distance : chaque galaxie a mis exactement le même temps pour parvenir de son point d’origine à sa localisation actuelle. Si nous inversons le film des évènements, toutes les galaxies se retrouveraient au même endroit au même instant. L’abbé Lemaître, se basant sur la théorie de la relativité générale d’Einstein, publia en 1927 l’un des premiers modèles d’univers en expansion, commençant son existence à partir d’un état initial infinitésimal qu’il appelait l’ « atome primitif ». Einstein, qui voulait encore croire à cette époque en un univers statique, se montra sévère envers l’univers en expansion de Lemaître : « Vos mathématiques sont superbes, mais votre physique est abominable ! » Une décennie auparavant, en 1917, afin de construire un univers statique, Einstein s’était vu contraint d’ajouter dans les équations de sa chère théorie de la relativité générale, un terme supplémentaire appelé « constante cosmologique ». Comme son nom l’indique, cette quantité ne varie pas au cours du temps. Elle est censée représenter une force anti-gravité répulsive qui contrebalancerait très précisément la force de gravité attractive de la matière pour produire un univers statique. Mais le père de la relativité n’avait pas la moindre idée de l’origine de cette constante cosmologique. Si bien qu’il fut finalement enchanté de la supprimer de ses équations, en la qualifiant de « plus grosse erreur de sa vie », lorsque Hubble découvrit l’expansion de l’univers, rendant caduque la thèse de l’univers statique. Einstein fit amende honorable envers Lemaître en déclarant publiquement en 1932 que la théorie de l’abbé était « l’explication de la Création la plus belle et la plus satisfaisante qu’il eût jamais entendue ». Mais la constante cosmologique n’avait pas encore dit son dernier mot. Comme nous le verrons, elle fera une rentrée fracassante vers la fin du XXe siècle avec la découverte de l’accélération de l’univers.

L’espace, dans l’univers de Newton, était immobile et statique. Dans l’univers d’Einstein, l’espace n’est plus passif mais devient dynamique. Dans l’univers du Big Bang, ce ne sont pas les galaxies qui sont en mouvement dans un espace immobile, mais un espace en expansion qui entraîne des galaxies au repos avec lui. Imaginez que vous soufflez dans un ballon décoré d’étoiles en papier. La surface du ballon qui se gonfle croît et toutes les étoiles qui y figurent s’éloignent les unes des autres. De la même manière que la surface du ballon augmente, de l’espace nouveau entre les galaxies est constamment créé et les distances entre elles augmentent au fur et à mesure que le temps passe. Ainsi, depuis l’ère de la formation des atomes d’hydrogène et d’hélium, quelque 380 000 ans après le Big Bang, jusqu’à l’époque actuelle de 13,8 milliards d’années après l’explosion primordiale, la distance entre deux galaxies quelconques non liées entre elles par la gravité a augmenté de 1000 fois environ.

Le rayonnement fossile

L’expansion de l’univers constitue la première pierre angulaire de la cosmologie moderne. Le rayonnement fossile qui provient de la nuit des temps et baigne l’univers entier en est la deuxième. C’est sa découverte en 1965 qui a rallié la majorité des scientifiques à la théorie du Big Bang. L’existence de ce rayonnement a été prédite dès les années 1940 par l’astrophysicien russe George Gamow et ses collègues américains Ralph Alpher et Robert Hermann. Se basant sur les modèles d’univers dynamiques du mathématicien russe Alexandre Friedman et de l’abbé Lemaître, Gamow et ses collaborateurs ont utilisé les équations de la relativité générale d’Einstein, publiées en 1915, pour remonter dans le passé de l’univers, tels des explorateurs qui remontent un fleuve vers sa source. Ils ont annoncé l’existence d’un rayonnement radio qui provient des premiers moments de l’univers, quand celui-ci était petit, chaud et dense. Pourtant, nul ne s’est donné la peine de rechercher ce rayonnement fossile, et ce, malgré le développement prodigieux de la radioastronomie après la Seconde Guerre mondiale. Probablement, le Big Bang sentait trop le soufre car il conférait une base scientifique à la notion de Création ! Les astrophysiciens « oublièrent » inconsciemment les prédictions de Gamow et ses collègues.

Il fallut attendre jusqu’au début des années 1960 pour que deux radioastronomes américains, Arno Penzias et Robert Wilson, travaillant dans un laboratoire de la compagnie téléphonique Bell, à Holmdel dans le New Jersey, découvrent le rayonnement fossile. Et ce, par le plus grand des hasards. En effet, nos deux radioastronomes ne sont pas cosmologues, et le problème de l’origine de l’univers est on ne peut plus éloigné de leurs préoccupations scientifiques initiales. Travaillant dans une compagnie de téléphone, ils ont équipé leur télescope d’un radiomètre extrêmement sensible, non pas pour faire de la cosmologie, mais pour étudier l’émission micro-onde de la Voie lactée, une source possible d’interférences avec les communications téléphoniques. Au cours de leurs observations, ils ont remarqué qu’en sus de l’émission radio de la Voie lactée, il existait un rayonnement de fond diffus « isotrope » c’est-à-dire avec toujours les mêmes propriétés, en quelque direction que le télescope soit pointé. Après maintes fausses pistes concernant l’origine de ce mystérieux rayonnement, Penzias et Wilson se sont rendus compte qu’ils ont découvert la deuxième pierre angulaire de la cosmologie moderne : la chaleur résiduelle liée à la création de l’univers. Pour leur découverte du rayonnement fossile, les deux radioastronomes ont été récompensés par le Prix Nobel de physique en 1978.

Au début de son histoire, l’univers est trop chaud pour que les atomes d’hydrogène et d’hélium puissent exister. Les photons énergétiques les détruisent dès qu’ils se forment. Avant l’an 380 000, la lumière ne peut pas se propager à travers la dense brousse des électrons libres, et l’univers est totalement opaque. Pour que l’univers devienne transparent, il faut attendre. En effet, à cause de son expansion, il ne cesse de se diluer et de se refroidir. Quand l’horloge cosmique sonne la 380 000e année, l’univers s’est assez refroidi (à environ 3000° Kelvin, à peu près la température de la surface du Soleil) pour que les photons ne possèdent plus assez d’énergie pour détruire les atomes. Parce que les électrons sont emprisonnés dans les atomes-prisons, rien n’entrave plus la libre circulation de la lumière. L’univers devient transparent.

Le rayonnement fossile qui baigne tout le cosmos date donc de l’an 380 000. Son image est la plus vieille que nous puissions obtenir de l’univers. Au fil du temps, la lumière primordiale fossile très énergétique au début, s’est considérablement refroidie. Elle possède aujourd’hui la température frigorifique d’environ 3° Kelvin (sa valeur exacte est 2,725°K), soit -270° centigrades, et elle est de même nature que celle émise par nos fours à micro-ondes. Invisible à nos yeux, elle ne peut être détectée que par des instruments capables de capter des ondes radio, comme les radiotélescopes ou…votre téléviseur. En effet, environ 1% des points blancs qui sautillent sur l’écran d’un ancien téléviseur analogique sont causés par les photons du rayonnement fossile.

Pour étudier cette lumière primordiale dans toute sa gloire, la NASA et l’ESA (European Spatial Agency) ont construit et envoyé des radiotélescopes dans l’espace, afin d’être au-dessus de l’atmosphère terrestre qui absorbe une grande partie de la lumière fossile. Au rythme d’environ un satellite par décennie dédié à l’étude du rayonnement fossile, les deux agences spatiales ont mis en orbite les satellites COBE en 1989, WMAP en 2001 et Planck en 2009. Les résultats obtenus par ces trois satellites ont été spectaculaires. COBE nous a révélé que la répartition en énergie du rayonnement fossile est exactement celle d’un univers qui, à l’origine, était extrêmement chaud, comprimé et dense. Cette observation met à mal toutes les théories cosmologiques rivales du Big Bang car, pour l’instant, celle-ci est la seule théorie qui puisse rendre compte de façon naturelle des propriétés de la lumière fossile. Les responsables des équipes de COBE ont été récompensés par le Prix Nobel de physique en 2006.

L’inflation : une expansion exponentielle de l’univers

À COBE, ensuite WMAP et enfin Planck ont été assignés la tâche d’accomplir une cartographie de plus en plus détaillée et précise du rayonnement fossile. Planck a démontré que la température de la lumière primordiale est d’une extrême homogénéité, ne variant pas plus d’un centième de millième de degré de la valeur de 2,725° Kelvin d’un coin du ciel à l’autre, quelle que soit la direction où l’on regarde. Cette fantastique homogénéité et isotropie implique que, dans le passé, toutes les parties de l’univers étaient en contact les unes avec les autres afin de cordonner leurs températures. Mais dans le scénario « standard » du Big Bang, il existe en l’an 380 000, au moment de la naissance du rayonnement fossile, des régions du cosmos séparées par des distances tellement grandes qu’elles ne pouvaient en aucun cas communiquer entre elles par la lumière pour coordonner leurs températures. L’extrême homogénéité de l’univers posait un problème. Pour le résoudre, le physicien américain Alan Guth proposa en 1981 une phase d’expansion exponentielle très tôt dans l’histoire de l’univers appelée « inflation ». Pendant une fraction infinitésimale de seconde au début de l’existence du cosmos, de 10-34 à 10-32 seconde après le Big Bang, chaque région de son espace était repoussée l’une de l’autre par une force répulsive inimaginable. L’inflation fait que l’univers accroit sa taille d’un facteur 1030, passant d’une dimension de 10-29 centimètre, des milliers de milliards de milliards de fois plus petit qu’un atome, à celle d’un ballon (10 centimètres) ! Pendant cette inflation vertigineuse, la vitesse d’expansion de l’univers dépasse allègrement celle de la lumière.  Cela est possible car l’espace dans le Big Bang est dynamique et se créé perpétuellement. Si rien ne peut voyager plus vite que la lumière dans un espace préexistant, la relativité n’empêche pas l’espace lui-même de se créer à une vitesse supérieure à celle de la lumière… L’univers du début, avant l’inflation, était si infinitésimalement petit que les diverses régions n’ont eu aucun problème pour entrer en contact les unes avec les autres par la lumière et coordonner leurs propriétés. Après l’inflation, les régions de l’univers-ballon ne sont déjà plus en contact les unes avec les autres, mais elles « se souviennent » de l’avoir été. L’inflation nous explique ainsi comment le « Bang » du Big Bang s’est produit. A la fin de la phase inflationnaire, à 10-32 seconde, l’univers poursuit son expansion, mais à un rythme beaucoup moins effréné. Au lieu de s’enfler exponentiellement en fonction du temps, l’univers ne s’est agrandi que d’un facteur 1000 de l’an 380 000 jusqu’à maintenant, soit 13,8 milliards d’années après l’explosion primordiale.

Le contenu en matière et énergie du cosmos

Cette phase inflationnaire a une autre conséquence importante : la courbure de l’univers doit être nulle. En effet, la géométrie de l’espace s’aplatit durant l’inflation, tout comme une petite région à la surface d’un ballon s’aplatit quand ce dernier est gonflé. La courbure d’une sphère est d’autant plus faible que son rayon est plus grand. L’univers, en accroissant dramatiquement sa taille, devient plat. Comment mesurer la courbure de l’univers ? La relativité générale nous donne la réponse. Elle nous dit que la matière et l’énergie courbent l’espace et que la forme de celui-ci dépend du contenu du cosmos en matière et énergie. Si la densité de matière et d’énergie est grande, l’univers est replié sur lui-même à la manière d’une sphère, avec une courbure positive. Si la densité de matière et d’énergie est faible, l’univers est évasé à l’instar d’une selle de cheval, avec une courbure négative. Et si l’univers a juste la densité dite « critique » il n’est courbé ni positivement ni négativement, mais il est plat, avec une courbure nulle. Cette densité critique est infime, égale à 5 atomes d’hydrogène par mètre cube. Pour déterminer la courbure de l’univers, il suffit donc de faire l’inventaire du cosmos en matière et énergie.

Mais c’est plus vite dit que fait. La grande majorité du contenu de l’univers (99,5%) n’émet aucune lumière, et privés de lumière, les astronomes sont littéralement … dans le noir ! Les quelques centaines de milliards de galaxies dans l’univers observable, chacune contenant des centaines de milliards de soleils ne représentent qu’une minuscule fraction, 0,5%, de la densité critique !

Quant à la « matière noire » qui n’émet aucune lumière visible à l’œil, elle se manifeste dans toutes les structures de l’univers, depuis les chétives galaxies naines jusqu’aux gigantesques amas de galaxies. Sa présence est requise car c’est la gravité qu’exerce cette matière noire qui empêche les galaxies et les amas de galaxies de se désagréger. Cette matière noire contribue à hauteur de 31,5% de la densité critique. Les astrophysiciens ont déterminé que, de ces 31,5%, seuls 4,5% sont faits de matière noire ordinaire, celle constituée de protons, de neutrons et d’électrons comme pour les hommes et les pots de fleurs. Mais qu’en est-il des 27% restants ? Les cosmologistes spéculent qu’elle est constituée d’une nouvelle forme de matière dite « exotique ». Elle serait peut-être composée de particules très massives, nées dans les premières fractions de seconde après le Big Bang, qui interagiraient très faiblement avec la matière ordinaire. Pour l’instant, aucune de ces particules exotiques n’a été observée dans les entrailles du LHC, l’immense accélérateur de particules au CERN, à Genève.

À ce point, nous avons fait l’inventaire de la matière lumineuse (0,5% du contenu de l’univers) et de la matière noire (31,5%). Ce qui nous a donné un total de seulement 32% de la densité critique, ce qui correspondrait à une courbure négative. Ce résultat est en grave contradiction avec la théorie de l’inflation, requise, nous l’avons vu, pour expliquer l’homogénéité de l’univers. En effet, l’inflation prédit une courbure nulle, avec une densité de l’univers exactement égale à la densité critique. La théorie du Big Bang serait-elle prise en défaut ? Cela semblait être le cas jusqu’à ce qu’un coup de tonnerre vienne bouleverser le paysage de la cosmologie à la fin du siècle dernier.   

L’accélération de l’expansion de l’univers

En 1998, deux équipes d’astronomes, l’une conduite par le physicien américain Saul Perlmutter, l’autre par les astronomes australien Brian Schmidt et américain Adam Riess, découvrirent indépendamment que l’expansion actuelle de l’univers était non pas en décélération comme la majorité des scientifiques s’y attendaient, mais au contraire en accélération ! Plus précisément, l’univers a bien été en décélération, mais seulement pendant les cinq premiers milliards d’années de son existence ; ensuite l’expansion de l’univers, au lieu de continuer à décélérer, s’est mise au contraire à accélérer, accélération qui se poursuit de nos jours ! Cette découverte extraordinaire a été récompensée par le prix Nobel de physique en 2011.

L’évolution de l’univers dépend en effet de l’issue du combat titanesque entre la force anti-gravité répulsive, responsable de l’expansion de l’univers, et la force de gravité attractive exercée par tout son contenu matériel. Nous avons déjà rencontré cette force anti-gravité à deux reprises. Einstein l’a introduite sous la forme d’une « constante cosmologique » dans ses équations de la relativité générale pour construire un modèle d’univers statique, mais l’a supprimée dès l’annonce de la découverte de l’expansion universelle par Hubble et Lemaître. Mais comme un « malin génie » qui chassé par la porte rentre par la fenêtre, la constante cosmologique a refait son apparition sous la forme d’une énorme force anti-gravité responsable de la folle inflation de l’univers à ses débuts. Elle réapparait donc une nouvelle fois à la fin du XXe siècle pour rendre compte de l’accélération de l’univers.

Comme pour la matière noire « exotique », les astronomes sont dans l’ignorance complète en ce qui concerne la nature physique de cette force répulsive qu’ils ont baptisée, faute d’en savoir plus, « énergie sombre ». Pour reproduire l’accélération observée de l’univers, quelle quantité d’énergie sombre l’univers doit-il contenir ? Les observations montrent que la réponse est … 68%, soit plus des deux-tiers du contenu en masse et énergie du cosmos, et exactement la quantité qui manquait dans notre précédent inventaire pour que l’univers possède la densité critique et la géométrie plate prédites par l’inflation ! Le nuage noir qui obscurcissait la théorie du Big Bang s’est dissipé, et la boucle est bouclée.

Pourquoi l’accélération universelle ne s’est-elle manifestée qu’environ six milliards d’années après le Big Bang ? Pourquoi l’énergie sombre n’a-t-elle pas fait sentir plus tôt sa présence ? En fait, la force répulsive due à l’énergie sombre a toujours été présente, tapie dans l’ombre, mais pendant les cinq premiers milliards d’années après le Big Bang, elle a été trop faible pour lutter contre la fantastique force de gravité attractive exercée par la matière et l’énergie du cosmos. C’est la force attractive qui mène alors le bal, et elle décélère l’expansion de l’univers. Le temps joue néanmoins en faveur de la force répulsive. Au fur et à mesure que s’égrènent les milliards d’années, l’univers se dilue, les distances entre les galaxies augmentent et la force attractive, qui varie comme l’inverse du carré de la distance entre les galaxies, diminue d’intensité. En revanche, l’intensité de la force répulsive reste constante. Ce qui fait que, au fil du temps, la force répulsive prend de plus en plus d’importance par rapport à la force attractive. La passation des pouvoirs a lieu quand l’horloge cosmique sonne six milliards d’années. La force répulsive, dorénavant la plus forte, va désormais accélérer l’expansion du cosmos.        

 La « constante cosmologique » est-elle constante ?

Le destin de l'univers dépend de l’issue du combat entre la matière et l’énergie sombre. Cette dernière est l'ingrédient fondamental qui alimente l’expansion accélérée du cosmos. De nouveaux résultats intrigants sur l’énergie sombre, issus de la collaboration DESI (acronyme de Dark Energy Spectroscopic Instrument), ont été annoncés en mars 2025. DESI est une grande expérience internationale, regroupant plus de 900 chercheurs, répartis dans plus de 70 institutions du monde entier. L'équipe a ainsi analysé la position dans le ciel et la vitesse de fuite de quelque 15 millions de galaxies, dont les plus distantes sont situées à 1 milliard d'années-lumière. Le but est de construire la plus grande carte tridimensionnelle de l’univers jamais réalisée, et d’étudier l'influence de l'énergie sombre au cours des 11 derniers milliards d'années. Les chercheurs ont décelé des indices intrigants, suggérant que l'énergie sombre, au lieu d’être une « constante cosmologique », pourrait évoluer de manière inattendue au fil du temps. Si cette découverte est vérifiée, cela serait une découverte majeure sur l'énergie sombre et la nature fondamentale de notre univers.

Prises isolément, les données du DESI restent cohérentes avec le modèle standard de l'univers appelé « Lambda CDM » (où CDM désigne la matière noire froide (Cold Dark Matter) et Lambda représente le cas le plus simple d'énergie sombre, où elle reste constante au cours du temps). Cependant, combinés à d'autres observations astronomiques, de plus en plus d'indices semblent suggérer que l'énergie sombre n’est pas constante, mais qu’elle pourrait s'affaiblir avec le temps, et que d'autres modèles pourraient être plus adaptés. Les autres observations incluent celles du rayonnement fossile, des explosions d'étoiles à la fin de leurs vies (les supernovae) et de la déviation de la lumière des galaxies lointaines par la gravité de la matière intergalactique (noire et lumineuse). Il semble de plus en plus nécessaire de modifier le modèle cosmologique standard pour que ces différents ensembles de données soient compatibles, et l'évolution de l'énergie sombre au cours du temps semble indiquée. La cosmologie est peut-être à l'aube d'une découverte majeure, conduisant à des révisions profondes de l'histoire du monde depuis le Big Bang. Contre toute attente, l’accélération de l’univers ne serait peut-être pas constante. Au contraire, le cosmos serait peut-être en train de connaître une diminution dans l'accélération de son expansion. S'ils sont confirmés, les résultats de DESI disent que l'accélération de l’univers était légèrement plus forte il y a 7 milliards d'années et qu'elle tend à diminuer depuis 2,5 milliards d'années.

Une telle confirmation serait une excellente nouvelle pour les physiciens. L'énergie noire ne se résumerait plus à une constante, mais elle cacherait une dynamique, et donc de la nouvelle physique à découvrir. Même avant la confirmation des résultats, des centaines d’articles proposant des interprétations alternatives ont déjà vu le jour. Les plus nombreuses appartiennent à la famille des théories dites « de la quintessence » qui prédisent l’existence de nouvelles particules. Elles sont du même genre que celles expliquant deux phénomènes majeurs de la physique : l'origine des masses des particules, grâce au boson de Higgs, et l'inflation, grâce à la particule « inflaton » non encore découverte. D'autres théories ont été proposées, modifiant la relativité générale, ou cherchant un lien entre énergie noire et matière noire, l'autre grande inconnue du cosmos...

Du point de vue observationnel, la priorité est de solidifier ces résultats intrigants avec encore plus de données. DESI en est maintenant à sa quatrième année d'observations du ciel, sur une période totale de cinq ans. Elle prévoit de mesurer environ 50 millions de galaxies d'ici la fin du projet. Les groupes travaillant sur les supernovae vont aussi apporter de nouvelles mesures. Le télescope spatial Euclid évaluera lui aussi l'accélération de l'univers par des méthodes similaires. Si tout va bien, nous devrions avoir une réponse plus définitive dans quelques années. Nous célébrerons peut-être alors la fin de la constante cosmologique et une meilleure compréhension de l’énergie sombre et de l’expansion de l’univers.

Charlottesville, Virginie, le 20 Mai 2025

 

27 mai 2025

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