SOMMES-NOUS SEULS DANS L’UNIVERS ?
Trinh Xuan Thuan
Professeur émérite d’Astronomie
Université de Virginie
Il pleut des exoplanètes
Nous vivons dans une période scientifique extraordinaire, un âge d’or où nous disposons de la connaissance et de la technologie nécessaires pour apporter des éléments de réponse à nos questions sur la « pluralité des mondes [1]». Il y a à peine trois décennies (jusqu’en 1995), nous ne connaissions encore qu’un seul système planétaire, le nôtre. Aujourd’hui, des télescopes performants, au sol comme dans l’espace (en particulier la sonde spatiale Kepler) nous ont déjà révélé l’existence de quelque 4500 exoplanètes [2] . Plus merveilleux encore : en extrapolant à la Voie lactée entière le nombre d’exoplanètes recensées par Kepler, on a déduit qu’il existe davantage de planètes dans la Voie lactée que les quelque 200 milliards d’étoiles que compte notre Galaxie.
Parmi cette multitude d’exoplanètes, en existe-t-il capables d’héberger, comme la Terre, la vie ? Si nous examinons les critères requis pour la présence de la vie sur notre planète, nous nous apercevons qu’un seul critère est vraiment contraignant : celui de la présence de l’eau liquide. Et c’est pourquoi la quête d’une vie extraterrestre dans le Système solaire repose presque exclusivement sur la recherche d’eau liquide sur les planètes et leurs lunes. En effet, pour héberger la vie, la planète doit être dans la zone « habitable » autour de l’étoile-mère, celle où l’eau demeure à l’état liquide. Cela veut dire que la planète n’est pas trop proche de l’étoile, pour que la température à sa surface ne soit pas trop élevée et que la vapeur d’eau dans son atmosphère puisse se condenser en gouttes, tomber sous forme de pluie et créer des océans liquides à sa surface. Mais elle ne doit pas être non plus trop éloignée de l’étoile, puisqu’une température trop basse transformerait l’eau liquide en glace.
La condition de la présence d’eau liquide élimine d’emblée la plupart des planètes du Système solaire comme des lieux possibles de vie. Les planètes géantes gazeuses (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) ne sont guère propices car elles ne possèdent pas de surface solide et la pression et la température grimpent si haut en leur intérieur que toute velléité de vie est détruite. Quant aux planètes telluriques qui, comme la Terre, possèdent un sol rocheux solide, il y a d’abord Mercure, dépourvue de toute atmosphère et affichant les variations de température les plus extrêmes du système solaire (de -180 °C la nuit à 430 °C le jour). Les nombreux cratères qui émaillent sa surface témoignent d’une intense période de bombardement qui n’a laissé aucune chance à la vie. Vient ensuite Vénus qui subit un puissant effet de serre, causé par son épaisse atmosphère, composée à 96,5% de CO2, qui fait grimper la température jusqu’à la valeur infernale de 470°C le jour et la nuit. L’eau, si elle existe, ne peut être sous forme liquide.
Une vie microbienne sur Mars ?
Reste le cas énigmatique de Mars. Notre fascination pour la planète rouge et les êtres qui ont pu y habiter remonte à des siècles : les « Martiens » ont longtemps désigné les petits hommes verts de nos fantasmes qui, pour sauver un Mars desséché, ont aménagé un réseau intriqué de canaux pour transporter l’eau des régions polaires vers les zones désertiques de l’équateur. Toutes ces spéculations ont été définitivement balayées par les images de la surface de Mars, envoyées par les sondes Mariner au début des années 1970, qui ont révélé un paysage désertique et aride.
Mais si une forme de vie évoluée n’a pas pu se développer sur la planète rouge, une vie microbienne plus rudimentaire aurait-elle pu y émerger ? De nombreuses observations de sondes spatiales suggèrent la présence d’eau courante dans le passé de la planète rouge, il y a 3 à 4 milliards d’années. Elles révèlent de gigantesques chenaux aux nombreux méandres et ramifications, évoquant des lits de fleuves desséchés, ou des terrains d’origine sédimentaire, suggérant que la surface de Mars était, dans son passé, constellée de lacs et de rivières. Mais alors, où est passée l’eau ? Les astronomes pensent qu’une partie a dû se retrouver sous forme de glace dans les calottes glaciaires aux pôles Nord et Sud. Une autre partie s’est peut-être fixée sous le sol, à quelques centaines de mètres de profondeur. Les chercheurs attribuent cette évolution à des changements climatiques. Il y a environ 3 milliards d’années ou plus, Mars possédait des volcans actifs qui auraient émis assez de CO2 pour créer une atmosphère environ 400 fois plus dense que celle d’aujourd’hui, et suffisamment d’eau pour remplir de nombreux océans. En exerçant son effet de serre, le CO2 qui compose 96% de l’atmosphère martienne, maintenait une température plaisante, au-dessus de zéro, permettant à l’eau liquide de couler à flots. Tôt dans son histoire, la planète rouge possédait aussi un cœur chaud, constitué de lave en fusion. Les mouvements de convection de cette matière en fusion généraient un champ magnétique qui agissait comme un bouclier, protégeant l’atmosphère de Mars contre les assauts des particules chargées du vent solaire. Avec le temps, le cœur s’est refroidi, les mouvements de convection ont cessé, le champ magnétique a disparu et la plus grande partie de l’atmosphère martienne s’est perdue dans l’espace.
S’il n’existe pas de vie intelligente sur Mars, qu’en est-il d’une vie microbienne dans son passé, quand l’eau coulait à flots ? En 1976, les deux sondes de la NASA, Viking 1 et 2, furent les premières à réaliser des expériences biologiques pour rechercher des micro-organismes sur le sol martien. Mais celles-ci furent peu concluantes. Récemment, en février 2021, le rover Perseverance de la NASA s’est posé sur la planète rouge dans le cratère Jezero, contenant des sols sédimentaires d’un ancien lac. Sa mission est de rechercher des signes de vie (ancienne ou actuelle) sur Mars et de collectionner des échantillons de rocher qui seront rapportées sur Terre par des missions spatiales futures, vers la fin 2030. Affaire à suivre…
La vie ailleurs dans le système solaire ?
En dehors de Mars, existe-t-il d’autres endroits dans le système solaire susceptibles d’héberger la vie ? La réponse est oui. Il ne s’agit plus de planètes, mais de leurs satellites naturels. Europe, l’une des plus grosses lunes de Jupiter, possède ainsi un océan d’eau liquide de quelque 100 kilomètres de profondeur, tapi sous une croûte de glace d’une vingtaine de kilomètres d’épaisseur. Une des lunes de Saturne, Encélade, montre d’imposants geysers de vapeur d’eau et de cristaux de glace qui jaillissent de la surface, suggérant de nouveau l’existence d’un océan d’eau liquide à quelque 40 kilomètres sous la croûte de glace. Titan, la plus grosse des lunes de Saturne possède un fantastique réseau de rivières, de lacs et d’océans non pas d’eau liquide, mais de méthane et d’éthane liquide, molécules qui peuvent se transformer chimiquement en des composés de carbone, les bases de la vie. De futures missions spatiales trouveront peut-être des microorganismes sur ces lunes.
A la recherche de E.T.
Si, pour l’instant, nous n’avons pas trouvé de vie extraterrestre dans le Système solaire, qu’en est-il d’autres systèmes planétaires, ceux que les astronomes ont découvert en nombre dans les dernières décennies ? Il existe quelque 200 milliards d’étoiles dans notre Voie lactée, en grande majorité (70%) accompagnées d’au moins une planète. Dès lors, le nombre d’exoplanètes habitables se compte aussi par milliards dans notre Galaxie. Mais pour savoir si la vie s’est développée ou non sur une planète habitable, il faut pouvoir détecter des gaz dans son atmosphère qui sont associés à la vie. Ils sont appelés « biomarqueurs » et sont, par exemple, l’eau, l’oxygène ou le méthane. On espère que le successeur de Hubble, le télescope spatial James Webb (JWST) de 6,5 mètres de diamètre, lancé le 25 décembre 2021, pourra mettre en évidence de tels biomarqueurs.
Mais si ces biomarqueurs sont susceptibles de révéler la présence de la vie, ils sont incapables de nous renseigner sur son stade d’évolution : est-elle à l’état de bactérie primitive, incapable de communiquer avec nous, ou s’agit-il d’une intelligence avancée munie d’une technologie sophistiquée ? Dans la seconde option, il se pourrait très bien que la première indication de vie ailleurs que sur Terre ne surgisse pas de l’étude des atmosphères d’exoplanètes, mais par la détection de signaux radio (ou optiques) émis par des civilisations avancées via le programme SETI (acronyme de Search for extraterrestrial intelligence, soit « recherche d’intelligences extraterrestres »). Au printemps 1960, l’américain Frank Drake inaugura le SETI moderne en pointant un radiotélescope de 26 mètres de diamètre vers deux étoiles proches (12 années-lumière) de type solaire pendant près d’une semaine. Aucun signal radio artificiel ne fut détecté, mais ce projet pionnier eut le mérite d’enflammer l’imagination du public comme de la communauté scientifique. Depuis, de petites équipes d’astronomes hardis et persévérants n’ont cessé d’observer le ciel avec de grands radiotélescopes (le plus grand est le radiotélescope chinois FAST de 500 mètres de diamètre). Ces scientifiques ont scruté sans relâche des dizaines de milliers d’étoiles parmi les plus proches et des exoplanètes découvertes par les sondes spatiales (telle Kepler).
Le silence angoissant de l’univers
Mais, en dépit de ces vaillants efforts, E.T. est resté désespérément silencieux. Même les soutiens les plus ardents et les plus optimistes de SETI doivent concéder qu’il est très peu probable que ces observations détectent un jour quelque signal. Étant donné ces très minces chances de succès, pouvons-nous trouver des raisons justifiant une telle entreprise ? Je crois que oui. Le jour où le silence angoissant du cosmos sera enfin rompu, notre vision scientifique, philosophique et spirituelle du monde en serait totalement bouleversée. La présence d’une autre civilisation nous dirait sans ambiguïté que Jacques Monod, selon lequel « L’Univers n’[était] pas gros de la vie, ni la biosphère de l’homme [3] » avait tort, et que Christian de Duve, pour qui la vie est un « impératif cosmique [4]», était sur la bonne voie. En effet, la simple connaissance de l’existence d’une autre civilisation technologique nous indiquerait qu’il a existé, qu’il existe et qu’il existera un grand nombre de sociétés extraterrestres dans l’Univers.
Même si un signal émanant d’une civilisation lointaine ne nous parvenait jamais, réfléchir à SETI nous oblige à regarder profondément en nous-mêmes et à réfléchir sérieusement à quelques-unes des plus grandes questions de l’existence : quelle est la nature de la vie ? Quels sont les facteurs qui favorisent l’émergence de l’intelligence ? SETI nous contraint à adopter une perspective à long terme : quel est le destin de l’humanité dans des millions d’années ? Quel est le futur de la Terre ? Il faut donc continuer à chercher : le plus sûr moyen de ne rien découvrir, c’est de ne pas explorer.
Sommes-nous seuls dans l’univers ?
La thèse que seule la Terre puisse héberger la vie et l’intelligence paraît bien improbable. Elle va contre le principe copernicien qui dit que la Terre n’est en aucun cas particulière. Si je rejette la thèse de notre solitude cosmique, il me reste celle d’une profusion de civilisations extraterrestres dans la Voie lactée. Si tel était le cas, SETI aurait dû détecter des signaux radio. De plus, comment répondre à la question du physicien Enrico Fermi (souvent appelée « paradoxe de Fermi ») : si E.T. est partout dans l’univers, pourquoi la Terre n’a-t-elle pas été envahie ni par des hordes d’extraterrestres, ni par des armées de machines-robots envoyées à leur place ? Plusieurs raisons ont été avancées. E.T. n’a pas colonisé la Voie lactée à cause de difficultés technologiques insurmontables et d’un coût exorbitant en énergie. Des raisons d’ordre sociologique ont aussi été invoquées : E.T. est casanier et n’a aucun désir d’aller coloniser la Galaxie. Je rejette ces arguments : disposant de millions, voire de milliards d’années, E.T. aurait en principe tout le temps nécessaire pour résoudre les difficultés techniques. Quant à l’argument sociologique, cela va de nouveau à l’encontre du principe copernicien de penser que l’espèce humaine serait la seule à être mue par l’envie d’aller explorer les cieux. D’après les modèles de colonisation de la Galaxie, il suffirait qu’une seule civilisation extraterrestre manifeste ce désir d’exploration pour que toute la Voie lactée soit colonisée en quelques dizaines de millions d’années.
Je préfère penser qu’il existe une profusion de civilisations extraterrestres dans la Voie lactée et que, malgré tout, si le ciel reste désespérément silencieux, c’est parce que E.T. n’a aucun désir d’entrer en contact avec nous. C’est l’hypothèse du « zoo humain » : nous sommes tellement peu évolués, à la fois technologiquement et spirituellement, que E.T. nous observerait de loin, sans intervenir, tels les visiteurs d’un zoo qui regardent à distance des bêtes en cage. Ces sociétés avancées constitueraient une sorte de Club galactique. Dans ce scénario, celui qui est le plus cher à mon cœur, nous serions des nouveaux venus. Les membres du club nous laisseraient évoluer tranquillement jusqu’au jour où ils jugeraient que nous sommes assez mûrs pour nous inviter à les rejoindre. En rejoignant le Club galactique, nos descendants accéderaient à un Univers rempli d’idées et de connaissances nouvelles extraordinaires, où la créativité et les possibilités seraient sans limite. Mais pourquoi ce silence déconcertant de l’espace ? S’il existe une profusion de civilisations extraterrestres et qu’elles communiquent sans arrêt entre elles par des messages radio le réseau au lieu d’être à l’échelle de notre planète (World Wide Web ou www), est à l’échelle galactique (Galactic Wide Web ou gww) pourquoi n’avons-nous rien intercepté jusqu’ici ?
La tâche qui reste pour SETI est immense : observer des millions d’étoiles à des milliards de fréquences différentes. Épier des signaux extraterrestres est pire que rechercher une aiguille dans une botte de foin : nous ne savons pas dans quelles directions pointer nos radiotélescopes, ni sur quelles fréquences écouter. Si, malgré tous nos efforts, E.T. continue à rester désespérément silencieux, il faudra alors songer à réviser notre feuille de route. Le scénario alternatif est, à mon sens, beaucoup plus sombre et tragique. Il attribue le silence de l’espace au fait que toutes les civilisations extraterrestres, sans exception, se seraient autodétruites. Si ce scénario est correct, cela ne présage rien de bon pour nous. L’homme serait-il assez sage pour ne pas s’autodétruire ? En tout cas, si nous sommes les seuls observateurs qui restent dans le cosmos, c’est à nous qu’incomberait la responsabilité universelle de maintenir coûte que coûte la flamme de la raison au sein de ce vaste univers et de lui donner un sens.
Paris, Février 2022
[1] Trinh Xuan Thuan, Mondes d’ailleurs, Flammarion, 2021.
[2] Selon les comptes arrêtés en avril 2021.
[3] Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, Paris, Seuil, 1970.
[4] Christian de Duve, Poussière de vie, Paris, Fayard, 1996.