25 novembre 2020 - Jacques Erard

 

Analyse

Militante de la biodiversité et menacée de mort

Un article co-signé par Jörg Balsiger et Peter Bille Larsen, chercheurs du pôle Gouvernance de l'environnement et de développement territorial (GEDT), analyse la situation alarmante des défenseurs et défenseuses de l’environnement victimes de violations des droits humains.

 

 

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Claudelice Santos milite pour la défense de l'environnement au Brésil. Photo: DR


Originaire de l’État de Pará, en Amazonie brésilienne, Claudelice da Silva Santos appartient à une famille de militant-es pour la défense de l’environnement et des droits humains. Elle se bat contre la déforestation illégale et l’accaparement des terres. Cette cause a valu à son frère et à sa belle-sœur d’être assassinés en 2011. L’investigation sur ce double meurtre a été bâclée par la justice brésilienne, estime-t-elle, et une partie des coupables est encore en liberté. Depuis, elle et ses collègues reçoivent régulièrement des menaces de mort. Elle était présente au Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH) en juin dernier pour témoigner de son combat.

 

Claudelice da Silva Santos fait partie des nombreux/euses défenseurs/euses de l’environnement victimes de violations des droits humains. La cause environnementale progresse certes un peu partout dans le monde – illustrant le rôle grandissant des mouvements citoyens pour peser sur les politiques gouvernementales en la matière – mais cette évolution a aussi un prix: ces militant-es sont de plus en plus souvent victimes d’exactions, notamment dans les régions où l’État est peu présent ou soutient des projets qui constituent une menace pour l’environnement. Et cette répression touche en particulier les populations autochtones qui jouent pourtant un rôle essentiel dans la protection des écosystèmes. C’est ce que constatent les auteurs d’un article(1) publié dans la revue scientifique Conservation Letters co-signé par Jörg Balsiger et Peter Bille Larsen, tous deux chercheurs à la Faculté des sciences de la société. Les deux chercheurs ont également mis en ligne une vidéo sur le site web de la Faculté rassemblant des témoignages de militant-es, dont celui de Claudelice da Silva Santos.

Le Journal: En quoi la défense de l’environnement et les droits humains sont-ils liés?
Peter Bille Larsen: On observe depuis quelques années une recrudescence des violations des droits humains à l’encontre des défenseurs/euses de l’environnement. Rien qu’en 2019, on a comptabilisé 212 assassinats de militant-es dans le monde. Ce phénomène est en partie lié aux pressions économiques accrues dans de nombreux pays en développement, qui incitent les gouvernements à relancer des programmes d’extraction de ressources naturelles. Et il a empiré avec la pandémie, car les personnes menacées ont perdu la possibilité de se déplacer et de se cacher. Parallèlement, on assiste à un mouvement visant à faire reconnaître le droit de vivre dans un environnement propre comme un droit humain.

Face à cette situation, quel est votre rôle de chercheurs?
Nous travaillons sur deux axes. Il s’agit d’abord de comprendre et d’analyser les enjeux, tout en documentant les cas en collaboration avec les organisations environnementales. Nous nous efforçons ensuite de tirer parti de notre proximité avec les organisations internationales pour réunir à Genève tous les acteurs et actrices concerné-es. C’est dans ce contexte que nous avons lancé récemment l’initiative Geneva Road map.

De quoi s’agit-il?
Le cadre juridique pour protéger les défenseurs/euses de l’environnement existe. Le Conseil des droits humains des Nations unies a passé une résolution à ce sujet l’an dernier. Nous estimons toutefois que ces mesures sont insuffisantes sans un dialogue accru avec les États et la société civile. Les personnes concernées ignorent la plupart du temps qu’elles sont au bénéfice de ces mesures de protection et celles-ci ne sont pas toujours bien adaptées aux réalités du terrain. Nous assistons par ailleurs à des transformations politiques et sociales susceptibles de limiter le droit fondamental à l’expression, y compris dans nos pays, alors que de plus en plus de jeunes s’engagent en faveur de l’environnement et découvrent de nouvelles façons de s’organiser. Avec le Geneva Road map, nous visons à établir un espace de dialogue entre ces différent-es acteurs/trices afin de faciliter un mode d’action plus adapté et plus préventif.

Dans votre article, vous mettez l’accent sur le rôle joué par les populations autochtones dans la protection de la biodiversité. Pourquoi?
Ces populations vivent souvent au cœur des écosystèmes menacés et elles en ont une connaissance approfondie. Elles sont par conséquent les mieux placées pour comprendre les enjeux liés à la destruction – et à la protection - des milieux naturels. Leur rôle est reconnu mais leurs droits sont menacés et elles ne bénéficient pas du soutien qu’elles mériteraient, alors qu’elles rendent un immense service à l’ensemble de la population.

Qui sont les auteur-es des exactions?
Cela dépend des pays. Ce sont parfois des acteurs/trices étatiques assujetti-es à des systèmes corrompus, qui ont intérêt à passer les problématiques environnementales sous silence. D’autres fois, ce sont des acteurs/trices privé-es chargés de la réalisation de projets constituant une menace pour l’environnement, avec à la clé des enjeux financiers considérables. Parfois ce sont aussi de petites entreprises locales actives dans la déforestation et agissant sous la protection des gouvernements, comme c’est le cas actuellement au Brésil.

Votre travail de chercheur possède un aspect engagé. Comment cet engagement s’accommode-t-il avec la nécessité de conserver votre crédibilité scientifique?
D’une part, je crois qu’il existe aujourd’hui une place pour une forme de science engagée. Face aux enjeux planétaires auxquels nous sommes confrontés, cet engagement me paraît même inévitable. Nous maintenons notre crédibilité scientifique en respectant nos processus méthodologiques et en apportant ce que nous savons faire de mieux: documenter et analyser de manière critique et ouvrir le dialogue. On pourrait parler d’engagement critique. D’autre part, cette approche nous apporte une connaissance des réalités et des acteurs/trices du terrain nous permettant d’identifier des aspects que nous aurions ignorés sans cela. D’un point de vue purement scientifique, cet engagement est donc aussi un moyen d’enrichir la recherche.

Pour en savoir plus

Vidéo «Responding to the Environmental Defenders Crisis: The Geneva Roadmap»

Le Jeudi 26 novembre, Peter Bille Larsen participait à un webinaire accueillant Lottie Cunningham Wren, lauréate 2020 du prix Right Livelihood. Enregistrement


(1) Bille Larsen, Peter, Le Billon, P., Menton, M, Balsiger, J. et al (2020)«Understanding and responding to the Environmental Human Rights Defenders crisis: the case for conservation action», Conservation Letters, November 2020, DOI: 10.1111/conl.12777

 

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