Journal n°83

Le Léman théâtre d’un gigantesque raz-de-marée

couv

Un tremblement de terre suivi d’un énorme glissement de terrain serait à l’origine d’un raz-de-marée qui aurait déferlé sur les rives du Léman à l’âge du Bronze

Aux alentours de 1750 av. J.-C., les habitants des rives du Léman ont essuyé un tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée d’une rare violence. Dévastés, certains villages sur pilotis ont alors été abandonnés. A l’appui de ce scénario: les restes d’un glissement de terrain gigantesque retrouvés dans les sédiments du Grand-Lac, entre Lausanne et Evian, et décrits dans un article à paraître en janvier dans la revue Earth and Planetary Science Letters.

D’un bloc au fond du lac

«Des mesures de sismique réflexion, une technique qui exploite la propagation des ondes sonores dans le sol, ont révélé la présence d’une couche de dépôts très épaisse dans les sédiments au fond du lac, explique Stéphanie Girardclos, maître d’enseignement et de recherche à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences, et l’une des auteurs de l’article. A l’aide de forages, nous avons pu extraire et dater du matériel organique appartenant à cette couche». Mené par Katrina Kremer dans le cadre de sa thèse en sciences de la Terre, ce travail a établi que ce matériel s’est déposé durant l’âge du Bronze, entre 1865 et 1608 av. J.-C. Après l’analyse des carottes et de la carte du relief lacustre, il semble qu’une énorme masse de sédiment (au moins 0,13 km3), située à plus de 80 mètres de profondeur en face de Lausanne, se soit détachée et ait glissé quasiment d’un seul morceau jusqu’au fond du lac. Il est peu probable que cet événement ait été causé par une tempête ou une crue.

Puissant séisme
«Nous avons trouvé deux autres glissements plus petits provenant de la rive sud, précise Stéphanie Girardclos. Ils datent tous de la même période. Ce synchronisme de lieu et de temps suggère que l’élément déclencheur est un tremblement de terre.» Une magnitude d’environ 6 est nécessaire pour provoquer un tel éboulement. Selon les géologues, il existe assez de failles à proximité (près d’Aigle et dans le Chablais, par exemple) capables de produire un séisme aussi puissant. Une simulation par ordinateur menée par Guy Simpson, chargé de cours, a montré que le glissement de terrain principal aurait, à lui seul, pu créer une vague jusqu’à 6 mètres de hauteur à certains endroits du lac. Coïncidence: à cette même époque, durant au moins 28 ans (entre 1758 et 1730 av. J.-C.), les fouilles de Pierre Corboud, du Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie, ont montré qu’aucun abattage d’arbre ni aucune construction de maison n’ont eu lieu dans les villages lacustres de Préverenges et de Morges/Les Roseaux. Comme s’ils avaient été abandonnés.