Journal n°140

Mères au bord de la crise de nerfs

 

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C’est un cercle vicieux. Une mère qui a été victime de violences durant son enfance interprète souvent mal les signes de détresse émotionnelle de son bébé. Elle va donc réagir de manière inadéquate, avec pour conséquence d’augmenter encore l’anxiété de son enfant et, par là même, la sienne. Les spécialistes parlent alors de «dysrégulation mutuelle», un phénomène qui peut conduire l’enfant à développer des pathologies. Pour aider ces familles, Daniel Schechter, chargé de cours au Département de psychiatrie (Médecine), et Sandra Rusconi Serpa, chargée d’enseignement à la Section de psychologie (FPSE), membres du Pôle de recherche national Synapsy (lire encadré), ont mis au point une intervention spécifique pour les mères en état de stress post-traumatique dû à la violence (ESPT).  

L’angoisse de séparation a tourné en trouble chez près de 70% des enfants de mères ESPT

Les deux scientifiques ont suivi 99 mères, dont 58 présentaient un ESPT, avec leurs jeunes enfants âgés de 12 à 42 mois. Dans une première phase, les mamans, placées dans un appareil IRM (imagerie par résonance magnétique), étaient invitées à visionner des scènes d’interactions difficiles entre mère et enfant. Contrairement aux parents normaux, face à ces images, les femmes ESPT n’activent pas la partie du cerveau qui régule le système limbique, permettant notamment de supprimer les réactions de peur.

Dans un second temps, le sentiment de frustration a été stimulé chez l’enfant – en demandant aux mères de remplir un formulaire au moment où leur bambin sollicite leur présence par exemple–, épisode durant lequel des prélèvements sanguins ont été effectués toutes les trente minutes. «Des dysfonctionnements d’ordre biologique ont été constatés, comme un faible taux de cortisol libéré chez la mère (hypocortisolisme)», relève Daniel Schechter. Un troisième type de perturbation maternelle a également été observé, d’ordre psychologique cette fois, concernant le comportement et le stress subjectif. Du côté des enfants, un même hypocortisolisme a été observé ainsi qu’une hypervigilance et une augmentation de l’angoisse de séparation.

Lancée en 2010, l’étude se poursuit avec les mêmes enfants, âgés aujourd’hui de 5 à 9 ans. Premier constat: l’angoisse de séparation a tourné en trouble chez près de 70% des enfants de mères ESPT. «La déficience d’activité neuronale que nous avions détectée précédemment chez la mère permet de prédire la survenue future de symptômes chez l’enfant, constate le chercheur. D’où l’importance d’intervenir le plus tôt possible dans la relation.»

À partir de séquences vidéo d’interactions difficiles, un thérapeute aide la mère à parler de ses états mentaux

Sur la base de ces résultats, les chercheurs ont développé une intervention spécifique, le CAVEAT (Clinician assisted videofeedback exposure-approach therapy). À partir de séquences vidéo d’interactions difficiles, un thérapeute aide la mère à parler de ses états mentaux et de ses émotions et lui permet notamment de se mettre à la place de l’enfant. Cette intervention est au cœur d’un manuel en cours d'édition, destiné à former les thérapeutes confrontés à cette problématique particulière. «Cet ouvrage présente une thérapie concentrée sur quatre mois. Au terme  de cette période, la mère, alors libérée de ses projections, peut découvrir qui est en réalité son enfant et créer ainsi une nouvelle relation avec lui», explique Daniel Schechter. —