Journal n°162

Un laser traque les premiers signes de prolifération du mildiou dans la vigne

image-3.jpgLe mildiou et l’oïdium n’ont qu’à bien se tenir: la lutte contre les infections fongiques des vignobles est en passe de se doter d’une nouvelle arme. Une arme laser qui plus est. Après une première campagne entre août et octobre 2018, l’équipe de Jean-Pierre Wolf, professeur au Département de physique appliquée (Faculté des sciences), s’est lancée cet été dans la deuxième période d’évaluation d’un appareil de sa fabrication capable de détecter et de dénombrer en temps réel les spores effectivement en suspension dans l’air. La fiabilité du dispositif atteint déjà les 80%, une performance destinée à augmenter grâce au système de traitement des données qui intègre de l’intelligence artificielle. L’objectif, au final, consiste à optimiser les traitements de la vigne. En d’autres termes, à diminuer de manière significative l’usage des pesticides.

«Le problème actuel des traitements fongicides, c’est qu’ils sont effectués, au mieux, d’après les prédictions basées sur des modèles météorologiques et biologiques qui produisent des probabilités d’infection pour des régions assez vastes, explique Jean-Pierre Wolf, qui a présenté ses travaux en juillet dernier au Congrès mondial de l’Organisation internationale de la vigne et du vin à Genève. Ces modèles lancent des alertes lorsque les conditions sont favorables à la prolifération de tel ou tel champignon. Mais en réalité, on ignore si des spores sont vraiment présentes à ce moment dans les vignes. Ne voulant pas prendre de risques, les viticulteurs traitent leurs parcelles malgré tout. Et parfois pour rien. Ils ont pu le constater quelques fois, cet été.»

L’appareil développé par les physiciens genevois vise à mieux cibler les traitements

L’usage excessif des pesticides dans l’agriculture a des conséquences néfastes sur la qualité des produits et sur la santé humaine, en aggravant la pollution des sols et de l’air. Il existe plusieurs stratégies plus ou moins efficaces visant à réduire cet impact: la réglementation, des organismes génétiquement modifiés pour résister aux maladies, des pesticides «respectueux de l’environnement» ou encore des techniques visant à mieux cibler les traitements. L’appareil développé par les physiciens genevois s’inscrit dans cette dernière catégorie.

Concrètement, l’instrument mesure la quantité et la taille des particules (de toute nature) contenues dans l’air grâce à un rayon laser dont le faisceau est diffracté dès qu’il rencontre des impuretés. Le rayon lumineux perturbé est ensuite capté par un détecteur. Un traitement du signal par un logiciel sophistiqué permet de déterminer la taille et le nombre des particules ayant causé la diffraction.

En fonction de la taille des poussières, les chercheurs déterminent quelle espèce de champignon est en train de proliférer.

La prolifération des champignons est un phénomène qui peut être très local et non pas distribué de manière homogène sur un coteau entier

Le dispositif tient dans un boîtier planté au sommet d’un mât de près de 2 mètres de haut. Pour compléter la station de mesure, alimentée par l’énergie solaire, les physiciens ont ajouté des capteurs mesurant la température et l’humidité de l’air et du sol, l’humidité des feuilles de la vigne et l’irradiance du soleil. L’ensemble des données, récoltées en direct et en continu, est transmis à l’aide d’une clé 4G en direction de l’Université de Genève.

Pour la deuxième année consécutive, les chercheurs ont réparti cinq stations dans les vignes de Stéphane Gros, viticulteur à Dardagny participant à l’expérience. Elles ne sont espacées que de quelques centaines de mètres les unes des autres mais elles ont fourni des résultats parfois très différents. Il ne semble ainsi pas toujours y avoir de corrélations entre les concentrations de spores mesurées dans une station et une autre voisine. Cela signifie que la prolifération des champignons est un phénomène qui peut être très local et non pas distribué de manière homogène sur un coteau entier.

L’avantage du système d’analyse développé par les chercheurs genevois est qu’il intègre de l’intelligence artificielle permettant de gérer d’énormes quantités de données mais surtout d’affiner ses résultats au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles mesures. «Le système apprend de ses erreurs et plus il a de données, plus il apprend, précise Jean-Pierre Wolf. Je suis donc assez confiant sur le fait qu’en 2019 nous ferons mieux que les 80% de fiabilité obtenus en 2018.»

Quant à savoir combien de stations il faudrait installer au minimum pour traiter de manière optimale une surface donnée, la question est encore ouverte.

Pour tenter d’y répondre, l’équipe de Jean-Pierre Wolf collabore cette année avec l’Agroscope de Changins, le centre de compétence en agronomie de la Confédération. Cinq stations y sont également installées sur deux parcelles, l’une traitée, l’autre pas, à des fins de comparaison. Le dispositif est complété par une trentaine de «trappes» qui piègent les spores et permettent de mieux comprendre la répartition spatiale et temporelle du micro-organisme. Les résultats de l’expérience sont attendus pour cet automne.

L’appareil genevois fait actuellement l’objet d’une demande de brevet européen. En attendant, il a déjà été adopté par le Science innovation Hub, le pré-incubateur d’entreprises de la Faculté des sciences. La décision de monter une start-up n’a, pour l’instant, pas encore été prise. —