Journal n°163 du 28 sept au 10 oct 2019

N’en déplaise aux complotistes, Jeanne Calment est bien décédée à 122 ans

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Photo: AFP

On ne doute pas impunément de l’âge de la doyenne de l’humanité. Un article paru le 16 septembre dans le Journal of Gerontology  défend l’honneur de Jeanne Calment, la Française morte à 122 ans qui détient le record de longévité. Les chercheurs français qui ont documenté son dossier à l’époque ainsi que François Herrmann, professeur au Département de réadaptation et gériatrie (Faculté de médecine), ont réfuté les principales allégations de deux chercheurs russes selon lesquelles il serait statistiquement impossible que l’Arlésienne, dont l’histoire se trouverait par ailleurs truffée de lacunes et d’incohérences, ait pu vivre jusqu’à 122 ans. Dans une interview publiée en décembre 2018, puis dans un article paru en février 2019 dans la revue Rejuvenation Research, Valery Novoselov, gérontologue, et Kolay Zak, mathématicien, estiment en effet que la personne morte à Arles en 1997 était en réalité Yvonne, la fille de Jeanne qui aurait échangé son identité avec celle de sa mère au moment de son prétendu décès en 1934. Un coup monté familial dont l’objectif aurait été d’éviter de payer des impôts sur la succession.

Piqués au vif par cette théorie du complot mettant en cause leur travail, les chercheurs français ont tout repris à zéro. L’article passe d’abord en revue tous les éléments historiques à la disposition des scientifiques. Il en ressort par exemple qu’au moment de la mort d’Yvonne en 1934 des suites d’une tuberculose, le mari de Jeanne Calment est encore en vie et que le fils d’Yvonne a déjà 7 ans. Cela signifie qu’en cas d’échange d’identité entre la mère et la fille, il aurait fallu que le mari de Jeanne présente sa fille comme son épouse (et donc que le mari d’Yvonne renonce à elle) et que son petit-fils fasse comme si sa mère était sa grand-mère. La ficelle paraît d’autant plus grosse que la famille de Jeanne était connue à Arles. Son beau-père avait créé un commerce local réputé, son père était conseiller municipal et le mari d’Yvonne était membre de la Légion d’honneur française. Par ailleurs, depuis les accusations de fraude et de complot, au moins quatre proches de la famille ont publié des photos montrant qu’Yvonne était, avant son mariage en 1926, active et bien intégrée dans son groupe social de jeunes femmes.

Tous les 10 millions de centenaires, une personne peut atteindre 123 ans. Il s’agit d’une probabilité mince mais qui est loin de faire de Jeanne Calment une impossibilité statistique.

Kolay Zak évoque aussi une impossibilité statistique d’atteindre l’âge de 122 ans en 1997. C’est pour répondre à cette affirmation que François Herrmann, spécialiste de l’épidémiologie des personnes âgées, a été recruté. Le chercheur genevois a conçu un modèle probabiliste basé sur des données démographiques comprenant la cohorte complète de toutes les personnes nées en France en 1875 – l’année de naissance de Jeanne Calment – afin de connaître leur âge à leur mort, et celle de 1903, qui constitue la dernière cohorte éteinte (il ne reste aujourd’hui plus personne encore en vie en France, né cette année-là).

Il ressort de l’exercice un résultat probabiliste affirmant que l’âge maximal d’extinction d’une cohorte est compris entre 119 et 123 ans. Plus concrètement, tous les 10 millions de centenaires, une personne peut atteindre 123 ans. Il s’agit d’une probabilité mince mais qui est loin de faire de Jeanne Calment une impossibilité statistique.

Après elle, la nouvelle doyenne de l’humanité n’a atteint que 112 ans. Un écart important qui fait, il est vrai, de Jeanne Calment une anomalie. Mais depuis cette date, une personne a atteint 119 ans et cinq autres 117. Que le record de Jeanne Calment soit battu n’est donc probablement qu’une question de temps.

Les auteurs demandent en conclusion que l’article de Kolay Zak soit retiré par la revue Rejuvenation Research

«Il n’existe pas de technique assez précise qui permette de déterminer à partir de restes humains l’âge exact d’une personne au moment de sa mort, ajoute encore François Herrmann. Une analyse de l’ADN de la fille et de la mère (qui a épousé un cousin) pourrait fournir une réponse à la question qui nous préoccupe. Mais il faut pour cela des autorisations de la famille et de la justice pour exhumer les corps. Et il n’y a pas matière à cela.»

Les auteurs demandent en conclusion que l’article de Kolay Zak soit retiré par la revue Rejuvenation Research – dirigée par Aubrey de Grey, un transhumaniste anglais à la tête de l’entreprise AgeX Therapeutics qui pense pouvoir résoudre le problème du vieillissement. Selon eux, cet article relèverait d’un travail d’amateur et ne remplirait pas les critères minimaux d’une recherche scientifique. Le chercheur russe a d’ores et déjà annoncé à l’AFP son intention de répliquer. —