09 décembre 2021 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

Coup de jeune sur les bustes des Bastions

Dans le cadre de la rénovation du bâtiment universitaire, le séminaire de recherche «Bustes et bustiers aux Bastions» s’est penché sur l’histoire et le sens des portraits qui ornent le hall du 1er étage. Il se conclut par une intervention artistique visant à explorer de nouvelles possibilités pour cet espace.

 

 

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Les bustes installés dans le hall, au 1er étage d’Uni Bastions, font l’objet d’une intervention artistique pour questionner leur sens et le message qu’ils véhiculent. Photo: E. Bayart.


Au 1er étage d’Uni Bastions, dans le hall qui fait face à l’auditoire historique du bâtiment, dix bustes figurant d’illustres professeurs toisent les passant-es. Qui sont-ils? Qu’ont-ils fait? (Presque) plus personne ne le sait. Mais un seul regard suffit pour constater le manque criant de diversité: tous sont des hommes, blancs, d’un certain âge et appartenant à une certaine classe sociale. Au sein de l’institution, nombreuses sont les voix à réclamer une réappropriation de ce bel espace. Dans cette perspective, et en prévision de la rénovation prochaine des lieux, le séminaire de recherche «Bustes et bustiers aux Bastions» s’est tenu de septembre 2019 à fin 2020 (voir Le Journal n° 164). Objectif: étudier et documenter la présence de ces personnages dans le bâtiment; comprendre leur histoire, leur forme et leur signification; identifier leur action performative, c’est-à-dire comprendre comment ils occupent l’espace, le message qu’ils transmettent et l’impact qu’ils ont sur les passant-es. Enfin, il s’agissait aussi de réfléchir à une utilisation différente des lieux. Le résultat est une installation, réalisée avec la contribution de l’artiste et curatrice Marie van Berchem. À découvrir en ce moment, après de nombreux reports en raison de la crise sanitaire, elle rend ces objets plus visibles et en même temps moins oppressants.

 

«Ces bustes sont à la fois omniprésents et invisibles, commente Valeria Wagner, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des lettres et membre du Collectif que faire des bustes (CQFB), constitué des enseignant-es et des étudiant-es ayant participé au séminaire. Placés en assemblée, ils sont comme une autorité invisible qui surveille nos pas et nos pensées. Ils évoquent le passé, la commémoration et la vénération de figures exemplaires liées à l’Université. Ils sont des exemples à suivre en même temps que l’illustration de ce qu’on ne sera jamais.» L’intervention artistique menée sur les bustes cherche à les «désarmer» en leur attribuant une fonction domestique – en tant que supports à plantes ou portemanteaux. Elle met également en évidence leur fonctionnement d’exclusion –, recouverts de miroirs, chacun-e peut s’y mirer et prendre leur place sur le piédestal. Une surface d’expression invite en outre les passant-es à donner leur avis.

Modèle du savoir figé
Aujourd’hui contestée, cette collection a pourtant été constituée de manière fortuite. L’initiative d’un tel hommage venait en règle générale des proches (familles ou disciples des professeurs défunts) qui se réunissaient pour financer la conception du buste et l’offrir à l’Université. Dans son travail de séminaire intitulé Les fils seront dignes des pères, Hugo Molineaux a cherché, en s’appuyant sur les archives du Journal de Genève, à dégager le narratif de ces cérémoniels. «Un schéma commun et une constante intentionnalité se dégagent, écrit l’étudiant. (…) Le but des cérémonies est clair: montrer la gratitude de l’institution envers le défunt, faire vivre sa mémoire afin de lui permettre de traverser les âges et rendre hommage à un personnage illustre pour qu’il soit un modèle d’exemplarité pour les générations futures.» La démarche n’est, pour autant, pas totalement innocente dans le contexte actuel. «Ce sont des hommes blancs, des figures d’autorité qui proposent une représentation du savoir figée, individuée, qui invisibilise non seulement les femmes, mais aussi les équipes de recherche, alors que l’on sait que toute connaissance est le fruit d’un travail collectif, argumente Valeria Wagner. Leur disposition en assemblée renforce le sentiment d’exclusion en rappelant que tout le monde ne peut pas entrer et rester à l’Université.»

Dans le cadre de la rénovation du bâtiment, le collectif CQFB espère qu’un réaménagement critique de cet espace sera effectué et que celui-ci prendra en compte les éléments de réflexion qu’il a contribué à mettre en avant. «Ce débat s’inscrit dans un mouvement global de remise en cause des monuments dans l’espace public qui mène au déboulonnage de statues à travers le monde, rappelle Valeria Wagner.» «Faire éclater un modèle dominant permet d’en envisager d’autres, de se réapproprier l’espace et de redonner peut-être un peu de vie et de chaleur à un hall universitaire trop pesant et solennel», renchérit Hugo Molineaux.

 

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