Journal n°164 du 10 au 24 octobre 2019

Ces bustes qui font débat

image-8.jpgCarl Vogt, William Rappard, Hermann Fol… ce sont au total vingt-trois bustes en bronze, exclusivement des hommes, professeurs de l’Académie ou de l’Université, qui ornent le bâtiment d’Uni Bastions et ses alentours. À l’occasion de la rénovation de l’édifice, un séminaire de master de la Faculté des lettres s’empare de la question de la mémorialisation des figures du savoir dans une perspective de genre. L’opération devrait déboucher sur une proposition originale d’intervention élaborée par les étudiants et étudiantes. Objectif: rendre sensible le public à l’absence de représentation des femmes.

Approche critique

Intitulé «Bustes et bustiers aux Bastions», ce séminaire a été proposé par un groupe de travail issu de la Commission de l’égalité de la Faculté des lettres, après une journée d’études organisée en mars 2017 sur les figures professorales. Celui-ci s’articule en trois volets: une perspective historique, une approche critique et un projet pratique. Yasmina Foehr-Janssens, professeure de littérature française médiévale et responsable des modules d’enseignement en études genre (Faculté des lettres), se réjouit d’offrir aux étudiants et étudiantes l’opportunité de travailler sur une problématique qui conduira à un résultat concret. Artistes, experts et expertes en histoire, en histoire de l’art et en études genre, spécialistes de l’art public et des questions patrimoniales participeront à cet enseignement tout au long de l’année.

Projet pratique

«Le buste est un mode de représentation aujourd’hui daté. Ceux sis aux Bastions ont surgi à un bref moment de transition  dans l’histoire de l’alma mater, celui du passage de l’Académie à l’Université qui a conduit à la création de nouvelles facultés et de nouvelles chaires», précise Yasmina Foehr-Janssens. Elle raconte qu’à Uni Bastions, l’histoire de ces bustes est souvent la même: elle commence par une initiative de proches d’un professeur défunt (épouse, enfants, amis et collègues) qui se réunissent pour financer la conception d’un buste et l’offrir à l’Université. La collection  s’est ainsi constituée sans volonté de créer une galerie de célébrités selon des critères préétablis. L’État, propriétaire des bâtiments universitaires, procède à l’installation, en fournissant par ailleurs le piédestal. L’arrivage des bustes aux Bastions continue jusqu’en 1962. Bien qu’elles soient considérées comme du mobilier, ces œuvres font aujourd’hui partie intégrante du bâtiment – certains socles sont presque solidaires des colonnes. Du fait de ce statut particulier, elles n’ont d’ailleurs pas été intégrées au projet de rénovation d’Uni Bastions par les architectes de l’Office cantonal des bâtiments (OCBA).

Invisibilisation des femmes

«Dans un premier temps, nous chercherons à mieux connaître cette collection, à comprendre comment elle s’est constituée et à expliciter les valeurs qui sous-tendent l’érection de ces bustes. Puis il s’agira de réfléchir à l’image très genrée de la figure de professeur qu’elle donne et de questionner cette représentation qui invisibilise le travail des femmes à l’Université, au moment où elles y ont été admises», souligne Yasmina Foehr-Janssens.
Les travaux élaborés par les étudiants et étudiantes auront pour objectif d’attirer l’attention sur cette construction et les multiples possibilités de déconstruction. Si la première idée qui vient à l’esprit est de placer un buste de femme à côté de chaque professeur, le projet du séminaire invite à penser au-delà.  «Il ne s’agit pas d’imiter un mode de monumentalisation par ailleurs de moins en moins usité, mais au contraire de montrer qu’un buste est une représentation singulière du travail scientifique qui fait l’impasse sur le travail collectif, explique Yasmina Foehr-Janssens. Faut-il rester prisonnier de ce type de représentation alors que la science est largement basée sur le travail d’équipe?»

Présentation inédite

Les travaux du séminaire pourront aboutir à des interventions éphémères – un projet d’exposition temporaire est déjà envisagé en collaboration avec la Bibliothèque de Genève – comme à des réalisations plus pérennes. «Entre la suppression de la collection ou son maintien en l’état – deux propositions que le groupe n’envisage pas –, il est possible d’imaginer toute une gamme d’actions, allant d’un concours d’art à une publication ou à un site internet qui mettrait la question en avant, imagine Yasmina Foehr-Janssens. Il est indispensable de se rappeler que les femmes ont joué un rôle important dans l’histoire de l’Université et de mettre en évidence les raisons du manque de reconnaissance institutionnelle de leurs contributions. Il est donc nécessaire de trouver une manière inédite de le montrer et c’est là que les artistes peuvent nous être utiles». —


Les vendredis — 14h-16h
Bustes et bustiers aux Bastions Séminaire annuel de master
Uni Bastions, salle B302