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"Prendre soin dans le monde" - Perspective du care et formation d'adultes / Cycle 2023-2024

Cycle de conférences publiques RIFT 2023-2024

"Prendre soin dans le monde" - Perspective du care et formation d'adultes

 

 

 

PRENDRE SOIN DANS LE MONDE

 

PERSPECTIVE DU CARE ET FORMATION D’ADULTES

 

Entre 2017 et 2018, le Laboratoire RIFT organisait un cycle de conférences intitulé Vulnérabilité́(s) et formation en l’abordant sous une triple diversité́ (Durand, 2017) :

 

i.             Diversité́ des sujets et des objets qualifiés de vulnérables

 

ii.            Diversité́ des points de vue sur ces objets et sujets

 

iii.           Diversité́ des perspectives de formation susceptibles de contribuer à lutter contre les situations de vulnérabilités identifiées.

 

Ce cycle de conférences inaugurait le développement d’une problématique transversale aux équipes du laboratoire RIFT, à partir de la question suivante :

 

Comment la formation des adultes contribue-t-elle de manière inventive à révéler, développer ou renforcer le pouvoir d’agir des personnes, des groupes ou des organisations en situation de vulnérabilité́ ?

 

Alors que les travaux initiés dans les différentes équipes à cette occasion étaient marqués par une volonté commune de contribuer à la construction d’une solidarité institutionnalisée, aujourd’hui on ne poserait probablement plus la problématique tout à fait de la même manière.

 

-      On ne qualifierait plus des personnes et des objets comme étant vulnérables risquant de laisser entendre qu’ils et elles seraient porteurs de la responsabilité de cette vulnérabilité

 

-      On n’assumerait pas de porter un regard sur des objets et des personnes, au risque de renforcer des asymétries existantes que nous dénonçons aujourd’hui

 

-      On ne penserait pas la formation comme étant en pouvoir de sortir les personnes des situations de vulnérabilités ou en pouvoir de rendre les personnes actrices, sans les considérer pleinement, laissant entendre que les formateurs et formatrices, les chercheurs et chercheuses auraient une sorte de super-pouvoir, au sens de pouvoir supérieur, permettant de mieux comprendre ce qui est bon ou pas bon de faire pour les autres qui seraient, eux et elles, en situation de vulnérabilité

 

Bien entendu nous forçons ici le trait, et encore… nous reconnaissons avoir été, et trop souvent être encore, tous et toutes tentés de croire que la formation et/ou la recherche aurait des connaissances et des pratiques plus légitimes que d’autres pour comprendre et agir dans le monde.

 

Alors que personne ne contesterait le postulat du sociologue Boaventura de Sousa Santos (2016[1]) selon lequel la justice mondiale n’est pas possible sans justice cognitive mondiale (p. 340) sans contribuer activement à la réduction des inégalités, des discriminations, des exclusions au moyen de pratiques orientées vers davantage d’émancipation pour toutes et tous, en particulier les personnes vouées au silence et les minorités.

 

Dans une volonté de requestionner inlassablement nos encrages, nos conceptions du monde et du pouvoir que nous exerçons par nos pratiques, la perspective du « care » nous est parue très féconde pour nous guider dans un tel projet.

 

Tronto, auteur phare de cette perspective, défini le « care » comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde » de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible.

 

Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie (Tronto, 1993/2009, p.13).

 

Cette définition sous-tend un projet politique et moral, visant à concilier de manière très concrète des besoins singuliers et collectifs en accord avec une éthique du « care ».

 

Or l’éthique du « care » ne donne pas de principes prédéterminés, universels et englobants de ce qui est moral.

 

La morale est considérée comme locale, ancrée dans une activité concrète, se déployant dans un contexte spécifique, et nourrie par l’expérience en cours et passée.

 

Autrement dit, l’éthique du « care » déplace la question de la morale de ce qui est juste dans l’absolu, à ce qui est important dans un contexte donné, à un moment donné (Laugier, 2021).

 

Ceci découle du travail fondateur de Gilligan (1982) qui a critiquée de manière profonde une vision binaire de la morale (juste/faux, bien/mal, bon/mauvais, homme/femme…) au profit de visions complexes, singulières, situées, ancrées dans le monde ordinaire, exprimées par des voix autres.

 

Celles-ci doivent être reconnues comme une partie constitutive et participative du monde (Paperman, 2015).

 

Pour ce faire, il est nécessaire de reconnaître à la fois une vulnérabilité intrinsèque aux vivants à tout moment de leur existence et les inégalités qui en découlent.

 

Il est en outre nécessaire de reconnaitre l’interdépendance entre tous les vivants permettant potentiellement de dépasser les situations de vulnérabilité.

 

Ces sont ces dimensions du « care », qui nous semblent aujourd’hui particulièrement pertinentes pour repenser voire transformer collectivement nos pratiques en pratiques attentionnées.

 

Assumer ainsi la responsabilité éthique et politique de percevoir l’autre, tout autre, aussi et surtout ceux et celles qui sont réduits au silence, de reconnaitre et entendre leur « voix »[2] et d’être avec pour, si souhaité de part et d’autre, trouver ensemble un moyen de rendre l’environnement source d’émancipation et de vitalité.

 

Pour nous accompagner dans ce projet exigeant le cycle de conférences que nous proposons et la publication qui sortira au printemps prochain sont pensés comme des lieux privilégiés pour partager les dilemmes auxquels nous confronte la perspective du « care » dans nos contextes et nos pratiques, et pour construire collectivement des pistes de réponses situées, vouées à se transformer et s’enrichir au fur et mesure des échanges.

 

Ces lieux sont l’occasion de découvrir des travaux liés à différents terrains, aux ancrages théoriques et épistémologiques variés, tous traversés par le même questionnement :

 

Comment nos activités d’éducation, de recherche et d’intervention en formation des adultes s’actualisent-elles pour assurer collectivement l’attention à l’égard d’autrui, l’écoute, la responsabilité́ pour les vivants ?

 

Dans quelle mesure nos activités contribuent-elles à une critique du système dominant pour participer activement à l’émergence d’alternatives au « positivisme institutionnel[3] » (Piron, 2018), à la construction de façons humanisantes et durables d’habiter notre monde ?

 

Nous nous réjouissons de cheminer avec et je dis bien AVEC vous toutes et tous

 


[1] de Sousa Santos, B. (2016). Epistémologies du Sud: Mouvements citoyens et polémique sur la science. Desclée de Brouwer.

[2] Gilligan, C. (1993). In a different voice: Psychological theory and women’s development. Harvard University Press.

[3] « Ce cadre normatif, que j’appelle « positiviste », est basé sur la séparation fondamentale et abyssale entre les « sachants » (les maîtres) et les autres, les premiers dominant symboliquement les seconds au nom de leur accès privilégié au savoir de type savant ou scientifique, dévalorisant en contrepartie tous les autres savoirs et toutes les autres épistémologies (manière de connaître et de créer des savoirs). » Piron, F. (2018). L’amoralité du positivisme institutionnel. Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre?, https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/neutralite/chapter/piron/

 

15 juin 2023

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