Journal n°165 du 24 oct. au 7 nov. 2019

Deux astronomes genevois décrochent le Nobel

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Les professeurs Michel Mayor et Didier Queloz se sont vu décerner le prix Nobel de physique 2019 pour leur détection de la première planète extrasolaire en 1995. Cette récompense suprême, qu’ils partagent avec le physicien canado-américain James Peebles pour ses travaux sur la cosmologie, a été annoncée le 8 octobre par l’Académie royale des sciences de Suède qui a salué des «découvertes sur l’évolution de l’Univers et sur la place de la Terre dans celui-ci».

Les deux chercheurs genevois ont donc attendu vingt-quatre ans pour voir leur prouesse couronnée de la plus belle des manières. L’aventure commence en 1994. En novembre de cette année, Didier Queloz, alors doctorant au Département d’astronomie de l’UNIGE, travaille à l’Observatoire de Haute-Provence où il manœuvre le télescope sur lequel est branché le spectrographe Élodie de fabrication genevoise. Michel Mayor, son directeur de thèse, est absent car il séjourne à Hawaï pour un stage de six mois dans l’institut qui gère le tout nouveau téléscope géant KECK. Tandis qu’il passe en revue une série d’étoiles pour calibrer l’instrument de mesure, Didier Queloz croit détecter une oscillation sur l’une d’entre elles, 51 Peg. Un mouvement qui pourrait révéler la présence d’un compagnon invisible. Et si c’était une planète?

Si nos calculs s’avéraient exacts, nous avions déniché une planète dont les caractéristiques n’avaient été prévues par aucune théorie

Le jeune chercheur, seul sous sa coupole, fait le plein d’émotions. L’aîné, rapidement averti, demeure dubitatif. Mais il n’est de toute façon pas question  de laisser passer une occasion comme celle-ci, alors que des équipes rivales, notamment américaines, sont également à la recherche de la première exoplanète. L’étoile située dans la constellation du Pégase, éloignée de 51 années-lumière, devient donc l’objet de toutes les attentions des astronomes genevois.

Mayor et Queloz veulent toutefois être certains de leur fait avant d’annoncer quoi que ce soit. Car il y a un souci. «Si nos calculs s’avéraient exacts, nous avions déniché une planète dont les caractéristiques n’avaient été prévues par aucune théorie, puisque cet objet dont la masse équivalait à la moitié de celle de Jupiter était 20 fois plus proche de son étoile que la Terre ne l’est du Soleil et avait une période orbitale de 4,2 jours seulement», commente Michel Mayor.

Michel Mayor et Didier Queloz sont contraints d’attendre que 51 Peg et son énigmatique compagnon réapparaissent dans le ciel de Provence

Pour en avoir le cœur net, Michel Mayor et Didier Queloz sont contraints d’attendre que 51 Peg et son énigmatique compagnon réapparaissent dans le ciel de Provence, ce qui est le cas au début du mois de juillet 1995.

Dès la première nuit d’observation, la présence d’une planète est confirmée. «C’est seulement à partir de ce moment-là que nous y avons réellement cru», raconte Michel Mayor.

Les astronomes genevois doivent le fait d’être les premiers à découvrir une exoplanète à plusieurs facteurs. Parmi eux figure le choix technologique de départ. Élodie, conçu par l’équipe de Michel Mayor, est un spectrographe dont le fonctionnement est différent de ceux utilisés par les groupes concurrents et qui s’est révélé plus efficace. À cela s’ajoute le système informatique, développé par Didier Queloz dans le cadre de sa thèse, qui a permis de multiplier par trois la précision prévue de l’instrument.

Le plus important, cependant, est peut-être le contenu du programme de recherche. La stratégie des équipes rivales a en effet consisté à se concentrer sur des planètes ressemblant en tout point à Jupiter, c’est-à-dire des géantes gazeuses, les plus faciles à détecter, dont on supposait alors qu’elles possédaient toutes des périodes orbitales de plusieurs années. Les Genevois, eux, ont choisi d’inclure dans leur projet de recherche des naines brunes, c’est-à-dire des étoiles trop peu massives pour déclencher les réactions thermonucléaires responsables de leur brillance. Comme ces objets étaient encore très mystérieux, les chercheurs se sont aussi intéressés aux périodes orbitales courtes. Cette stratégie s’est avérée payante puisqu’elle leur a permis d’attraper 51 Peg b dans leurs filets.

Il reste encore à convaincre la communauté scientifique qui se montre plutôt circonspecte

La découverte réalisée, il reste encore à convaincre la communauté scientifique qui se montre plutôt circonspecte. Les objections sont nombreuses. Certains suspectent que les mouvements détectés par les Genevois ne sont rien de plus que des vibrations propres à l’étoile, d’autres que le compagnon de 51 Peg n’est pas une planète mais une naine brune, etc. Les chercheurs genevois parent, une à une, toutes les attaques et, assez rapidement, la vraie nature de la découverte s’impose.

L’arrivée de 51 Peg b soulève toutefois immédiatement la question de savoir comment il est possible que cette géante gazeuse soit si proche de son étoile. La réponse est apportée par le concept de migration orbitale selon lequel les planètes géantes, comme 51 Peg b ou Jupiter, naissent à une distance importante de leur étoile, là où le disque d’accrétion contient des grains de glace. Ensuite, ces jeunes planètes s’approchent progressivement de leur astre central en spirale durant un temps court – 1 à 2 millions d’années. Une fois qu’il est totalement absorbé, le disque disparaît et l’orbite des planètes se stabilise à l’endroit où elles se trouvent. Des simulations informatiques ont par la suite réussi à reproduire le phénomène de manière fidèle.

Le domaine des exoplanètes, qui n’intéressait que peu de monde il y a 25 ans, mobilise aujourd’hui des dizaines d’instruments (dont les successeurs d’Élodie que sont HARPS, HARPS-Nord et ESPRESSO, eux aussi fabriqués à Genève) ainsi que des milliers de chercheurs et chercheuses de par le monde. Plus de 4000 planètes extrasolaires ont déjà été découvertes et de nouveaux instruments encore plus précis sont actuellement en phase de conception ou de construction pour en détecter encore plus.

Parmi eux, le satellite Cheops, de fabrication entièrement suisse, dont le lancement est prévu dans les semaines à venir. Cet appareil est spécialement conçu pour mesurer les transits d’exoplanètes devant leur étoile.

Forte de son leadership en la matière, l’Université de Genève codirige depuis 2014 un pôle de recherche national (PlanetS) dédié à la détection des exoplanètes, à l’étude de leur formation et de leur composition. Un des volets de son programme est consacré à l’analyse des atmosphères de ces objets et à la détection d’éventuelles signatures révélant la présence d’eau et, pourquoi pas un jour, d’une activité biologique, c’est-à-dire la vie. —