«La question du consentement doit être repensée dans la chaîne pénale»
À Genève, seuls un tiers des cas rapportés à Viol-secours font l’objet d’un dépôt de plainte, selon les estimations de l’association. Pour mieux comprendre le phénomène, Marylène Lieber, professeure à l’Institut d’études genre, Cécile Greset et Stéphanie Perez-Rodrigo, toutes deux juristes et anciennes étudiantes du master en études genre, ont ouvert l’enquête. Leurs travaux visent à saisir les différences et similarités entre les cas de violences sexuelles dont traitent les associations – en première ligne pour récolter des informations – et celles jugées par le Tribunal pénal, situé à la fin de la chaîne. Son premier volet, à vocation exploratoire, s’est intéressé à la prise en charge des infractions de contrainte sexuelle et de viol par les tribunaux genevois. Les premiers résultats, issus de l’analyse des 68 dossiers jugés au Tribunal pénal genevois entre 2010 et 2017, font l’objet d’une conférence le 28 octobre.
Les premières analyses avaient pour but de catégoriser la grande variété des cas traités par le Tribunal pénal, puis de repérer les logiques sociales qui traversent le champ pénal pour comprendre ce qui favorise la reconnaissance pénale des violences sexuelles. «Nous avons mis en évidence que les personnes victimes de violences commises par un ami ou un conjoint ont beaucoup plus de peine à faire reconnaître leur préjudice que quand ces dernières ont été perpétrées par un inconnu dans l’espace public», prévient Marylène Lieber.
Tout fonctionne comme si le fait d’avoir consenti une fois suffisait à définir toutes les relations suivantes, y compris celles non désirées
S’il est prématuré pour les chercheuses d’établir une critique du droit suisse, leur étude met toutefois en exergue la dimension extensible du consentement. «Si les violences subies sont le fait d’une personne avec qui on a pu avoir un flirt ou des relations un peu intimes, le préjudice aura très peu de chances d’être reconnu par la justice, insiste Marylène Lieber. Tout fonctionne comme si le fait d’avoir consenti une fois suffisait à définir toutes les relations suivantes, y compris celles non désirées. La façon dont le consentement est pensé dans la chaîne pénale doit être retravaillée.»
Dans leur enquête, les chercheuses ont par ailleurs mis en évidence un biais du processus pénal, à savoir la surreprésentation des catégories populaires parmi les prévenus. Un phénomène qui a été longuement décrit par les études sur les décisions pénales et qui s’explique par le fait que les personnes de couche sociale défavorisée, plus proches des institutions de contrôle social, sont plus disposées à déclarer les sévices subis. «Les femmes des catégories les plus favorisées ont sans doute tendance à ne pas porter plainte, parce qu’elles ont conscience que la trajectoire pénale est difficile, longue et contraignante», assure Marylène Lieber. —
LUNDI 28 OCTOBRE — 18H
Juger les violences sexuelles
Uni Mail, salle MR070