Journal n°167 - du 21 nov. au 12 déc. 2019

En Suisse, vivre vieux et en bonne santé n’est pas donné à tout le monde

image-3.jpgEntre 1990 et 2015, les femmes et les hommes en Suisse ont gagné des années d’espérance de vie (3 et 5 respectivement) ainsi que des années d’espérance de vie en bonne santé (3 et 4,5). C’est une bonne nouvelle. Surtout pour les personnes au bénéfice d’une formation supérieure. Beaucoup moins pour celles qui n’ont suivi que l’école obligatoire. Les premières vivent en effet en moyenne plus de temps en bonne santé que les secondes. Et cette différence s’est même accentuée avec le temps, passant de 7,6 ans en 1990 à 8,8 ans en 2010. Une raison suffisante pour que l’article qui rapporte ces résultats, paru le 31 août dans la revue International Journal of Public Health, ait reçu comme titre: Une vie plus longue et en meilleure santé pour tous? Les succès et les échecs d’un système de santé universel axé sur le consommateur, Suisse, 1990-2014.
L’étude, menée par Adrien Remund sous la direction de Michel Oris, respectivement chercheur et professeur à l’Institut de démographie et socioéconomie (Faculté des sciences de la société), se base sur les données de la Cohorte nationale suisse regroupant toutes les personnes vivant ou ayant vécu en Suisse de 1990 à 2015. Les chercheurs ont ainsi pu suivre plus de 11,65 millions de  personnes, y compris les mouvements migratoires, ainsi que 1,47 million de décès. Ils ont croisé ces données avec celles des Enquêtes suisses sur la santé qui ont lieu tous les cinq ans.
Il en ressort que les années en bonne santé augmentent en parallèle à l’espérance de vie. Entre 1990 et 2015, les hommes ont ainsi gagné 5 années de vie supplémentaires, dont 4,5 en bonne santé. Les femmes, quant à elles, ont gagné 3 années en bonne santé, un chiffre identique à leur gain d’espérance de vie. Cette augmentation plus modeste s’explique par le fait que les femmes vivent déjà plus longtemps que les hommes et disposent donc d’une marge de progression plus petite. Afin d’affiner leurs résultats, les auteurs ont ensuite analysé de manière séparée les personnes ayant reçu une formation obligatoire, secondaire ou tertiaire (université ou équivalent). Et c’est là que les différences apparaissent.

Les écarts se creusent

Dès les années 2000, en effet, les hommes au bénéfice d’une formation primaire ne gagnent plus d’années d’espérance de vie en bonne santé supplémentaires et stagnent à 73 ans. À l’inverse, ceux ayant suivi une formation secondaire et tertiaire ont vu ce nombre d’années augmenter continuellement pour atteindre 78 ans (pour les premiers) et 81 ans (pour les seconds) en 2010.
Du côté des femmes qui n’ont suivi que l’école obligatoire, l’espérance de vie en bonne santé diminue légèrement de 1990 à 1995 avant de remonter à 79 ans en 2010. Les femmes ayant suivi une formation secondaire et tertiaire suivent la même courbe mais voient leur espérance de vie en bonne santé grimper ensuite à 84 ans en 2010. L’écart se creuse donc aussi chez les femmes en fonction de leur niveau d’éducation puisque la différence passe de 3,3 ans en 1990 à 5 ans en 2010.
Entre les femmes de formation secondaire et tertiaire, l’écart est toutefois indistinguable. Cela est dû au fait que les données utilisées dans l’étude concernent des femmes nées dans les années 1920-1930, une période où l’accès aux hautes études leur était limité et où peu travaillaient. Pour mesurer une éventuelle divergence entre ces deux catégories, il serait intéressant de refaire cette enquête dans 50 ans, les femmes étudiant et travaillant aujourd’hui tout autant que les hommes.
Il n’en reste pas moins que le constat est préoccupant: les écarts en termes de nombre d’années de vie en bonne santé sont importants et continuent de se creuser entre les populations aux niveaux d’éducation différents. Il se trouve également que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que si la Suisse dispose d’un excellent système de santé en soins aigus, son système de santé de prévention est encore perfectible.

Manque de prévention

«Notre étude appuie ce constat, note Michel Oris. La différence entre les personnes ayant suivi une formation obligatoire et tertiaire peut en effet être expliquée par des inégalités socioéconomiques poussant les personnes à faible revenu à retarder le plus possible, voire à renoncer à des contrôles réguliers chez leur médecin ou à éviter de faire des dépistages, trop coûteux et non pris en charge par les caisses maladie. Et moins on fait de prévention, moins vite on peut détecter l’apparition de maladies chroniques, et plus notre état de santé se dégrade rapidement.» —