Journal n°168 - du 12 déc. 2019 au 13 fév. 2020

À la recherche des récifs coralliens enfouis dans le sous-sol genevois

image-7.jpg

Le 24 octobre dernier, les Services industriels de Genève (SIG) ont démarré à Lully, dans la commune de Bernex, le deuxième forage de leur campagne d’exploration du sous-sol genevois. But de l’opération: atteindre 1130 mètres de profondeur, là où les scientifiques s’attendent à rencontrer les calcaires récifaux de la période du Jurassique, vestiges des récifs coralliens déposés sur le Jura et le Salève il y a 155 millions d’années. Des vestiges similaires ont été trouvés dans le bassin munichois, aboutissant à  des travaux d’exploitation.

Ce forage s’inscrit dans le programme Géothermie 2020 piloté par l’État de Genève et financé et mis en œuvre par les SIG. Celui-ci vise à couvrir 20% des besoins de chaleur du canton à l’horizon 2035 grâce à l’apport de cette énergie verte. Quatre forages exploratoires sont prévus dans cette phase. Le premier a eu lieu en 2018 à Satigny à une profondeur de 740 mètres.

La Suisse a beau être l’un des pays du monde où la géothermie est le plus développée à titre privé, son exploitation industrielle, pour couvrir les besoins d’une agglomération urbaine comme Genève, en est encore à ses premiers pas. Avant toute chose, les géologues doivent procéder à un travail de cartographie du sous-sol, auquel participent des chercheurs de l’UNIGE, afin de mieux connaître la répartition des types de roches qu’il contient. Des camions vibreurs envoient des ondes réceptionnées par des géophones plantés dans le sol, ce qui permet d’obtenir une échographie du paysage souterrain.

nous cherchons à identifier les zones fracturées, les accidents et les endroits où la roche calcaire est le plus poreuse

«À l’aide de cette carte, nous cherchons à identifier les zones fracturées, les accidents et les endroits où la roche calcaire est le plus poreuse, bref tout ce qui peut faciliter l’écoulement de l’eau», explique Carole Nawratil de Bono, responsable du projet auprès des SIG. Ces propriétés géologiques sont en effet inégalement réparties sur le territoire genevois. Un forage effectué à 2600 mètres de profondeur en 1993 à Thônex a, par exemple, permis de déceler un calcaire très cimenté, peu propice à l’écoulement. À l’opposé, le forage de Satigny en 2018 dans l’aquifère du Crétacé a tapé dans le mille: une eau à 34 °C jaillissant d’elle-même à la surface, sans pompage.

Cette cartographie de précision s’avère capitale pour identifier les meilleures zones possible, surtout au vu du choix technique retenu pour cette campagne. Contrairement au forage de Bâle en 2006, Géothermie 2020 mise en effet sur cette connaissance pour capter directement de l’eau chaude à un débit suffisant et à une profondeur raisonnable, évitant ainsi de recourir à l’injection d’eau sous pression. Une approche très différente de celle du projet bâlois qui visait à élargir les fractures, de manière à créer des réservoirs artificiels destinés à réchauffer une eau froide injectée depuis le sol avant d’être repompée.

Situé à mi-distance entre Satigny et Thônex, le site de Lully apportera de nouvelles données sur une zone non explorée. Si les géologues s’attendent à trouver une eau avoisinant les 45 °C, le forage permettra de vérifier plus précisément la température, sa variation en fonction des événements météorologiques et surtout la valeur du débit, la plus grosse inconnue et aussi la plus décisive pour la réussite de l’opération.

l’installation de Lully a été conçue pour durer, en vue d’une possible utilisation industrielle

«À 40 °C, il est possible de faire du chauffage direct, surtout dans les bâtiments de nouvelle génération, moyennant le petit appoint d’une pompe à chaleur pour l’eau chaude sanitaire», précise Carole Nawratil de Bono. De fait, l’installation de Lully a été conçue pour durer, en vue d’une possible utilisation industrielle. Les clients potentiels ne manquent pas: la commune de Bernex a fait part de sa volonté de se passer du mazout d’ici à 2030, et le projet intéresse également les maraîchers de Lully.

À l’échelle cantonale, il est encore trop tôt pour connaître le nombre de forages qui seront nécessaires pour atteindre les 20% fixés par le programme Géothermie 2020. Les géologues estiment toutefois qu’il faudra au moins cinq sites, munis chacun de deux puits, de l’eau froide étant réinjectée afin de maintenir l’équilibre des réserves. Avant d’en arriver là, les scientifiques procéderont à une batterie de tests, à Lully comme à Satigny, pour déterminer la composition chimique des eaux récoltées et l’impact sur l’alimentation des rivières du bassin. En outre, les réseaux de chaleur en surface devront être adaptés.

L’expérience genevoise est suivie de très près par la Confédération. À ce stade de développement industriel, l’échange et l’analyse de données sont en effet incontournables pour définir une politique d’exploitation cohérente. Dans cette optique, l’association faîtière Géothermie suisse organise régulièrement des Journées romandes de la géothermie, dont la 10e édition aura lieu le 5 février à Montreux.

«Notre programme fait école et suscite de l’intérêt au niveau européen, et même au-delà, puisque nous avons récemment accueilli à Lully des experts nigérians», se réjouit Carole Nawratil de Bono. Les SIG ont d’ailleurs opté pour une politique de transparence totale sur leurs projets, dans le but de susciter l’adhésion du public. Des visites gratuites du site sont ainsi organisées tous les mardis à midi, grâce à une collaboration avec deux anciennes doctorantes de l’Université, Karine Plée Tranchet et Mélanie Gretz, de l’association AniMuse, laquelle propose également des ateliers à l’intention des enfants. —

Tous les mardis — 12h30
Visites du forage de Lully