Journal n°168 - du 12 déc. 2019 au 13 fév. 2020

Certains quartiers cumulent forte consommation de soda et obésité

image-1.jpgCertains quartiers du canton de Genève pousseraient-ils leurs habitants à une consommation excessive de boissons sucrées et à prendre du poids? Ou, à l’inverse, les amateurs de liquides caloriques et les personnes souffrant d’une surcharge pondérale auraient-ils tendance à emménager au même endroit? Telles sont les questions que l’on peut se poser à la lecture d’une étude parue le 14 novembre dans la revue Nutrition and Diabetes et menée par des chercheurs dont fait partie David De Ridder, doctorant à la Faculté de médecine et chercheur à l’Unité d’épidémiologie populationnelle (UEP) des Hôpitaux universitaires de Genève.

Mené sous la supervision d’Idris Guessous, professeur associé à la Faculté de médecine, le travail montre que les personnes souffrant de surcharge pondérale, d’une part, et celles consommant des boissons sucrées de manière excessive, d’autre part, ne sont pas distribuées de manière aléatoire sur le territoire genevois. Dans les deux cas, leur concentration atteint des niveaux inhabituellement élevés dans certaines zones précises qui, dans un peu moins que la moitié des cas, se recoupent. En effet, 43% des habitants des quartiers dans lesquels l’indice de masse corporelle (IMC, lire ci-dessous) est élevé résident dans des zones qui sont également problématiques en matière de consommation de boissons sucrées. Ces «points chauds» se trouvent notamment dans les communes de Lancy, d’Onex, de Vernier, de Meyrin et d’Avully.

15 767 personnes, âgées de 20 à 74 ans entre 1995 et 2014, ont participé à l’étude au long cours «Bus Santé»

Selon les auteurs, l’identification de ces populations spécifiques ouvre la voie à la mise sur pied de stratégies de santé publique de précision plus efficaces que, par exemple, les campagnes de prévention actuelles diffusant des messages globaux et comptant sur une prise de conscience et la responsabilité individuelles.

Ce sont 15 767 personnes, âgées de 20 à 74 ans qui, entre 1995 et 2014, ont participé à l’étude au long cours «Bus Santé». Conduit par la Direction générale de la santé du canton de Genève via l’UEP, ce projet soumet chaque année un questionnaire portant sur la santé, l’activité physique et les habitudes alimentaires à un échantillon de 500 hommes et de 500 femmes représentatif de la population. Les consultations comprennent aussi des mesures anthropométriques et un bilan sanguin.

Sur le plan international, l’étude genevoise représente une des rares tentatives de cartographier en détail – à l’échelle de l’adresse de résidence – la distribution sur un territoire d’une maladie non transmissible en association avec une de ses causes probables.

Plus précisément, la carte obtenue par les chercheurs met en évidence des «clusters», c’est-à-dire des regroupements de personnes partageant non seulement un goût immodéré pour le sucre ou le fardeau de l’embonpoint mais aussi le même voisinage, défini dans cette étude par une distance entre leurs adresses résidentielles inférieure à 1,2 kilomètre. Les personnes remplissant l’un des deux critères mais qui sont réparties au hasard sur le territoire, c’est-à-dire qu’elles ne vivent pas à proximité d’autres ayant les mêmes caractéristiques, n’apparaissent donc pas.

La première cause qui vient à l’esprit pour expliquer ce phénomène est le niveau socio-économique des populations en question. Mais elle ne suffit pas. Les auteurs ont en effet corrigé les biais possibles dus à l’éducation, à l’âge, au genre, à la nationalité et au revenu. Ils se sont pour cela basés sur les informations obtenues directement auprès des participants, complétées par des statistiques officielles notamment sur le revenu médian dans chaque quartier.

«L’ajustement des données a entraîné des changements, certains clusters disparaissent et d’autres, plus petits, apparaissent, précise David De Ridder. Mais l’effet est modeste, ce qui indique que ce sont d’autres déterminants, présents dans l’environnement des participants, qui influencent la distribution spatiale de l’obésité et de la consommation des sodas.»

L’instauration d’une taxe soda est préconisée par l’Organisation mondiale de la santé et mise en œuvre dans plus d’une trentaine de pays, dont la France, la Belgique, la Grande-Bretagne ou le Mexique

Il peut sembler aller de soi qu’une trop grande consommation de sucre soit associée à un IMC trop élevé. Les campagnes de prévention le répètent à l’envi et plusieurs études récentes le démontrent. Dans un article paru le 14 décembre 2017 dans la revue Obesity Facts, Nathalie Farpour-Lambert, privat-docent au Département de santé et médecine communautaires (Faculté de médecine) et médecin adjointe aux HUG, et ses collègues ont recensé toutes les recherches portant sur ce sujet et réalisées entre 2013 et 2015. Après avoir exclu les travaux financés par l’industrie, il en ressort que 97% des études (30 au total) établissent une association entre consommation de sucre et obésité, aussi bien chez les enfants que chez les adultes.

Le problème, c’est que du point de vue physiologique, les causes de l’obésité sont multiples, complexes et pas toujours bien comprises. Malgré toutes les preuves accumulées jusqu’à présent, ces incertitudes ont permis à plusieurs controverses de se répandre et de semer le doute. C’est le cas notamment en Suisse où un sondage de l’institut gfs.bern commandé par le Groupe d’information boissons rafraîchissantes (qui regroupe les industries de sodas) a montré en septembre 2018 que les trois quarts de la population s’opposent à l’idée d’une taxe sur les boissons sucrées. Cette idée a également été largement rejetée en juin dernier par le Conseil national. L’instauration d’une taxe soda est pourtant préconisée par l’Organisation mondiale de la santé et mise en œuvre dans plus d’une trentaine de pays, dont la France, la Belgique, la Grande-Bretagne ou le Mexique.

David De Ridder, lui, poursuit ses travaux et tente maintenant de caractériser au mieux l’environnement auquel sont exposées les populations étudiées: proximité des espaces verts, nombre et si possible qualité des restaurants et des commerces d’alimentation, évaluation plus fine encore du niveau socio-économique des participants... «En d’autres termes, je m’intéresse à tout ce qui peut avoir une incidence sur l’obésité ou sur l’incitation à acheter de la junk food, y compris la publicité qui, elle non plus, ne choisit pas ses quartiers par hasard», précise-t-il.

Le chercheur genevois a également l’intention d’exploiter les données de la cohorte populationnelle «CoLaus» qui suit plus de 6700 Lausannois depuis 2003 de manière longitudinale. «Le but, dans un premier temps, consiste à vérifier si l’on peut observer le même phénomène à Lausanne qu’à Genève, note David De Ridder. Ensuite, nous vérifierons si les déterminants de l’obésité ou de la consommation de sucre sont les mêmes dans ces deux contextes.»  —

 

 

IMC et boissons sucrées

 

Indice de masse corporelle (IMC) :

L’IMC se calcule en divisant le poids (en kg) par la taille (en mètres) au carré. On estime qu’un IMC normal se situe entre 18,5 et 25. Entre 25 et 30, les personnes sont considérées en surpoids et au-delà de 30, comme souffrant d’obésité.


Boissons sucrées :

On entend par boissons sucrées celles qui contiennent des sucres ajoutés: sodas, jus aromatisés, thé ou café sucrés, boissons énergétiques, etc. Certaines d’entre elles peuvent contenir jusqu’à 39 grammes de sucre dans une canette de 33 centilitres.


Consommation :

Depuis vingt ans, la consommation de ces boissons est en constante augmentation en Europe. En Suisse, on en ingurgite en moyenne 80 litres par an et par personne, contre 95 litres dans l’Union européenne.