Journal n°168 - du 12 déc. 2019 au 13 fév. 2020

«Il faut revoir notre stratégie de prévention»

image-2.jpgL’étude genevoise parue dans la revue Nutrition and Diabetes (lire article principal), ne surprend pas Jacques-André Romand, médecin cantonal à l’État de Genève et professeur titulaire au Département de santé et médecine communautaires (Faculté de médecine). Les résultats du travail en question, à savoir la délimitation des quartiers genevois où coexistent des concentrations inhabituellement élevées de personnes en surcharge pondérale et de personnes consommant de manière excessive des boissons sucrées (voir la carte ci-contre) recoupent en effet en partie ceux d’un autre travail. En 2014, le Centre d’analyse territoriale des inégalités (CATI-GE) a identifié les communes du canton présentant de fortes inégalités socio-économiques. Et, dans les deux études, on retrouve les communes de Lancy, Meyrin, Onex et Vernier, la seconde ajoutant toutefois à sa liste celles de Genève, Carouge, Chêne-Bourg, Thônex et Versoix.

À cela s’ajoute la dernière Enquête suisse sur la santé, publiée en 2017, qui montre que la surcharge pondérale et l’obésité, dont les fréquences augmentent sans cesse dans le pays, touchent davantage les personnes n’ayant suivi que l’école obligatoire que celles bénéficiant d’une formation tertiaire. Le problème, c’est que les premières sont aussi celles qui sont les moins sensibles aux efforts de prévention.

Le défi qui se présente avec de plus en plus de précision aux autorités sanitaires du canton est donc de taille. Il s’agit de développer des stratégies censées toucher des populations, certes identifiées et même localisées sur le territoire, mais qui sont aussi les plus difficiles à atteindre avec les messages traditionnels de promotion d’une vie saine.

«Notre objectif est l’autonomisation (empowerment) des individus en matière de santé"

«Notre objectif est l’autonomisation (empowerment) des individus en matière de santé, explique Jacques-André Romand. Pour y parvenir, dans le cas présent, nous devons remettre en question assez profondément la manière dont nous menons nos activités. Distribuer des dépliants dans les boîtes aux lettres, ça ne suffit plus. Il faut désormais aussi investir les réseaux sociaux, développer de nouveaux messages plus efficaces, répondre à des attentes spécifiques, ce qui implique de faire appel à des chercheurs ayant des compétences psychologiques et sociales plus pointues, etc. C’est un chantier difficile.»

Avant cela, des études supplémentaires sont prévues pour consolider ces résultats. Il est ainsi question de lancer une enquête populationnelle longitudinale qui suivrait environ 20 000 Genevois durant plusieurs années. Quant au Département de la cohésion sociale, il a réactivé en mai le projet CATI-GE.

L’instauration d’une taxe sur les boissons sucrées, elle, suscite des doutes au sein du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé. Son chef, le conseiller d’État Mauro Poggia, ne remet pas en question le lien entre consommation excessive de sucre et obésité mais estime qu’une telle mesure limitée à Genève n’aurait presque aucun effet en raison de la petitesse du territoire et de la facilité d’aller se servir de l’autre côté de la frontière. Une taxe fédérale, en revanche, aurait tout son sens.

«Il faut aussi se méfier des effets pervers, note Jacques-André Romand. Pour qu’une taxe soda fonctionne bien, il faut non seulement que le prix de la boisson sucrée soit bien au-dessus de celui de l’eau mais il faut aussi éviter qu’une partie des consommateurs ne se rabattent sur la bière ou d’autres alcools devenus moins chers.»  —