Un vestige humain d’Afrique australe inhumé au cimetière Saint-Georges

image-8.jpg«À la personne inconnue originaire d’Afrique australe, décédée sur le continent africain, probablement au XIXe siècle, et autrefois conservée à l’Université de Genève», telle est l’étrange épitaphe que l’on peut lire depuis début décembre sur une plaque grise sise dans le carré dit «des inconnus» du cimetière Saint-Georges. C’est par cet hommage que se conclut dignement la saga d’un vestige humain – la tête d’une personne originaire d’Afrique australe – découvert dans les réserves des collections anthropologiques de l’Université.
C’est en 1995 que la tête est trouvée par un étudiant en archéologie préhistorique qui faisait visiter la collection de crânes de l’UNIGE à son frère. La nouvelle se répand au Département d’archéologie et soulève de nombreuses questions sans toutefois donner lieu à une décision, malgré les efforts d’un jeune professeur de préhistoire, Éric Huysecom, en vue de trouver une solution. La tête est alors conditionnée dans une caisse hermétiquement clouée et remisée discrètement dans un dépôt du bâtiment de Sciences II.
Retrouvée en 2010 sans son étiquette d’accompagnement, la tête fait alors l’objet d’une enquête approfondie pour en déterminer la provenance. Une datation au carbone 14 donne un résultat imprécis. «Elle permet néanmoins d’affirmer que le décès a eu lieu après 1666 et avant 1950, le XIXe siècle étant toutefois le plus probable d’après le contexte historique», estime Éric Huysecom, aujourd’hui professeur à l’Unité d’anthropologie (Faculté des sciences). La coiffure comme le type physique de la victime évoquent une origine khoïsane, dont la culture regroupe aussi bien les chasseurs-cueilleurs San que les pasteurs Khoïkhoï, présents en Afrique du Sud, au Botswana, en Namibie et en Angola. Ces indices n’offrent toutefois pas de certitude du point de vue scientifique. L’analyse ADN n’a apporté, quant à elle, aucune précision supplémentaire ni permis le rattachement à un groupe ethnique.

Commission ad hoc

Face à ce cas exceptionnel et placé devant une énigme dérangeante au regard des règles éthiques et juridiques actuelles en matière de conservation de restes humains, le Rectorat a mis sur pied une commission pour trouver une solution qui, dans la mesure du possible, soit honorable pour tout le monde et respecte la dignité de la victime. Après plusieurs contacts, notamment avec des anthropologues sud-africains, un retour en Afrique s’est rapidement avéré irréalisable étant donné qu’il est impossible de savoir à quel pays s’adresser et encore moins à quel groupe ethnique. C’est pourquoi la décision a été prise d’enterrer la tête sur territoire genevois.

Inaliénabilité des collections

C’est par une décision officielle du Rectorat, prise le 13 novembre 2019, que la tête présumée khoïsane est sortie des collections de l’Université, la libérant ainsi du point de vue juridique. En effet, toute pièce qui fait partie des collections publiques d’un musée ou d’une autre institution d’État est considérée comme appartenant au patrimoine national. Elle est dite inaliénable. «En principe, elle ne peut donc être vendue ni même donnée, explique Marc-André Renold, professeur au Centre universitaire du droit de l’art. Il est néanmoins possible de la restituer en la sortant des collections publiques.»

Un crâne et sept squelettes

Au terme d’un examen minutieux des collections anthropologiques de l’UNIGE, deux autres cas ont été identifiés: un ensemble de sept squelettes pygmées dont les identités sont connues et dont les conditions d’exhumation ne permettent pas de garantir que le consentement de leur clan a été obtenu et le crâne d’un soldat chinois, tombé au combat en 1885.
Concernant les squelettes, il a été conclu, en 2018, que la propriété de ceux-ci revenait à l’Université de Lubumbashi, en République démocratique du Congo. Leur retour physique restant une entreprise délicate, les ossements font aujourd’hui l’objet d’un prêt de longue durée à l’UNIGE, mais c’est l’institution congolaise qui gère leur accès et leur usage par la communauté scientifique. Quant au crâne du soldat chinois, l’UNIGE s’est rapprochée des autorités chinoises dans l’optique d’une possible restitution. Après plusieurs échanges et sans indication contraire de leur part, l’UNIGE conserve pour l’heure ce vestige anthropologique. —

 

 

La tête maorie du musée d’ethnographie

 

En 1896, Maurice Bedot, directeur du Musée d’histoire naturelle de la Ville de Genève, acquiert une tête maorie tatouée auprès d’un marchand londonien. Ce genre de «trophées» (reliques faisant partie d’un culte des ancêtres mais aussi têtes d’adversaires morts au combat) n’est alors pas rare. On estime que plus de 500 têtes maories ont ainsi quitté la Nouvelle-Zélande depuis 1770. L’exemplaire de Genève est transféré le 2 février 1954 au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).
Au début des années 1990, Alan Baker, directeur du Musée national de Nouvelle-Zélande Te Papa, découvre l’existence de la tête et la réclame au nom du peuple autochtone maori. En 1992, la Ville de Genève accepte de la restituer au Musée Te Papa sous forme d’un prêt d’une durée de sept ans, renouvelable. Aucune demande de prolongation n’est toutefois déposée. En mars 2010, après une requête genevoise, le Musée Te Papa confirme que la tête maorie est toujours en sa possession et conservée en un lieu sacré. L’institution en profite pour demander officiellement la prolongation du prêt, qui est accordée. La Ville de Genève décide finalement de restituer définitivement la tête maorie à la Nouvelle-Zélande en 2011. La relique est alors transférée au sanctuaire de Te Papa avant d’être définitivement conservée dans un espace sacré.

Source: ArThemis, base de données du Centre universitaire du droit de l’art de l’UNIGE